Ciro Gomes, ex-ministre de l’intégration nationale sous le premier mandat de Lula (PT) de 2003 à 2006, actuel candidat centre gauche, le 5 octobre, à Rio, au Brésil. / Leo Correa / AP

Les uns espèrent une vague à même de barrer la route du candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, les autres redoutent un simple sursaut de dernière minute incapable de modifier le destin d’un scrutin hors norme. Samedi 6 octobre, à vingt-quatre heures du premier tour de l’élection présidentielle au Brésil, l’idée d’un coup de théâtre agitait les réseaux sociaux faisant de Ciro Gomes, candidat de centre gauche, actuellement en troisième position, l’homme à même de fédérer un front républicain pour empêcher la victoire du militaire de réserve au discours agressif, raciste, homophobe et misogyne.

Selon le dernier sondage CNT/MDA Jair Bolsonaro, membre du Parti social libéral (PSL) fait toujours la course en tête avec 36,7 % des intentions de votes (42,6 % en excluant les votes blancs et nuls) devant le représentant du Parti des travailleurs (PT, gauche), Fernando Haddad, à 24 % (27,8 % hors votes blancs et nuls). Le remplaçant de Luiz Inacio Lula da Silva, Lula, emprisonné, devance toujours Ciro Gomes du Parti démocratique travailliste (PDT) à 9,9 %.

#viraviraCiro

En dépit du retard de l’ancien gouverneur du Céara, Etat du Nordeste, une partie du pays souligne que ce dernier est le seul capable de battre Jair Bolsonaro. En cas de second tour, Fernando Haddad, handicapé par la haine anti-PT et anti-Lula, ne récolterait que 38,7 % des votes selon le pronostic CNT/MDA face à un Jair Bolsonaro à 42,6 %. En cas de duel avec Ciro Gomes, les deux candidats seraient à égalité autour de 41 %. D’autres sondages, comme celui de Datafolha publié le 5 octobre, donnent Ciro Gomes gagnant à 48 % contre 42 % pour le représentant du PSL.

Affolés par la perspective d’une victoire de l’ex-capitaine d’infanterie et des conséquences désastreuses de son triomphe pour la jeune démocratie, les militants en faveur de Ciro Gomes ont lancé une campagne active sur les réseaux sociaux, Twitter, Whatsapp et Facebook baptisée #viraviraCiro (allez, allez, Ciro). Une riposte à la campagne du candidat d’extrême droite, #EuVotoBolsonaro (je vote Bolsonaro), qui ne cesse de progresser dans les enquêtes d’opinions.

« La rage contre le PT et Lula est utilisée par Jair Bolsonaro pour alimenter la haine. Une nation mue par la rage et la haine ne permettra pas de bâtir le pacte social que mérite le Brésil (…) J’ai la fermeté que vous pensez trouver en Bolsonaro, mais j’ai l’humanité qu’il n’a pas », commente Ciro Gomes dans une vidéo publiée sur Twitter.

Tournant pour Gomes

Cette mobilisation en faveur de Ciro Gomes, relayée par l’humoriste, Gregorio Duvivier, sympathisant de la gauche et du PT, ou par l’écrivain Daniel Gabera, aurait permis au candidat de gagner de précieux points dans les sondages.

Selon nos informations, Ciro Gomes aurait grimpé entre trois et quatre points en l’espace de trois jours, affichant un score 14 % à 15 % d’intentions de votes selon les enquêtes internes réalisées par le PDT mais aussi par le parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, droite) de Geraldo Alckmin ou celle du parti écologiste Rede de Marina Silva. Étourdi par ce sursaut, Ciro Gomes imagine désormais crédible de décrocher une place au second tour à la place de Fernando Haddad.

« Un tournant est difficile, mais Ciro peut incarner la troisième voie », atteste une source au sein de l’équipe de campagne du candidat évoquant des conversations avec le PSDB et Marina Silva permettant de créer une Union sacrée au second tour. Interrogés, ni le PSDB ni Marina Silva ne confirment d’éventuelles tractations.

Ciro Gomes, ex-ministre de l’économie sous le gouvernement d’Itamar Franco dans les années 1990 et de l’intégration nationale sous le premier mandat de Lula (PT) de 2003 à 2006, connu dans le Nordeste et jugé « market friendly » (bienveillant envers les marchés financiers) aurait un profil compatible pour les électeurs de gauche comme de droite. Il serait de fait, plus consensuel que Fernando Haddad. Un homme considéré par une partie du pays comme le « pantin de Lula » qui pâti des scandales de corruption visant le PT et dont le programme effraye la Bourse de Sao Paulo.

Plus agressif

Sûr de son avantage, le représentant du PDT s’est fait plus agressif sur le terrain lors de son passage, vendredi 5 octobre dans la favela de Rocinha à Rio de Janeiro. Une poche de misère meurtrie par les guerres de gangs. Fernando Haddad « n’est pas une mauvaise personne (…) mais peut-être n’a-t-il pas le punch, l’énergie nécessaire, ni l’autorité pour affronter cette vague fasciste qui envahit le Brésil », a-t-il affirmé s’adressant aux électeurs potentiels de son rival. « Je suis le seul capable de vaincre Bolsonaro. Le PT a perdu les moyens d’unir le Brésil », a-t-il ajouté, tandis que Fernando Haddad appelait le lendemain ses électeurs à « rester alertes » pour lui assurer une place au second tour.

« Le PT a fait des erreurs et suscite beaucoup de rejet. Pour les républicains, l’émergence de Ciro Gomes serait un soulagement », commente Marcelo Rubens Paiva, journaliste et romancier. « Ciro Gomes a le potentiel pour battre Bolsonaro. Il ne suscite pas ce rejet du PT. Mais il reste peu de temps, il est difficile d’imaginer qu’il parvienne au second tour », relativise Carlos Melo, professeur de sciences politiques à l’Insper, institut d’études supérieures de commerce et d’ingénierie à Sao Paulo.

A en croire un proche de Fernando Haddad, « l’hypothèse Ciro Gomes au second tour est très improbable ». A en croire notre source, contrairement à ce qu’affirme Ciro Gomes, le PT parviendra au second tour à rallier les forces républicaines autour de lui face à l’extrême droite.

Une « virada », un tournant est-il encore possible ? En 2014, à trois jours du premier tour, la candidate de la gauche, Dilma Rousseff (PT) était favorite des sondages avec 40 % d’intentions de votes, devant Marina Silva (24 %) et Aecio Neves du PSDB (21 %). A la sortie des urnes, Dilma Rousseff obtint 41,59 % des voix devant Aecio Neves à 33,55 %. Le représentant de la droite avait raflé plus de 10 points en l’espace de trois jours, rappelle Julia Duailibi, commentatrice politique sur la chaîne GloboNews.