Partis de bon matin, ils arriveront sur les chemins, à bicyclette, vers 15 h 30. Il n’est pas dit qu’ils vivent l’enfer pour ne pas mettre pied à terre, car ces chemins-là ne vont pas montant, mais les cailloux pourraient en forcer quelques-uns à s’arrêter, tout de même. Paris-Tours, 122 ans au compteur, se présentera dimanche refaite à neuf : neuf « chemins de vignes », serpentant dans l’AOC Vouvray – en pleines vendanges – pimenteront le final de cette semi-classique indéfinissable. On la dit offerte aux sprinteurs, mais elle leur échappe deux fois sur trois depuis trente ans. Avec 12,5 kilomètres de chemins de vignes et six nouvelles côtes sèches dans les cinquante derniers kilomètres, le risque d’assister à un sprint massif diminue encore davantage.

PARIS TOURS RECO MASTER H264
Durée : 02:02
Images : Amaury Sport Organisation

Envoyer les coureurs ailleurs que sur leur terrain naturel, le bitume, est devenu tendance chez les organisateurs, en quête d’imprévisible dans un cyclisme souvent corseté par les grosses équipes, la Sky en tête. Les chemins introduisent une part d’aléa – le risque de crevaison est élevé – mais aussi de belles images à vendre au téléspectateur, qui cherche autant à voyager de son canapé qu’à regarder une compétition sportive. Pour Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire de Paris-Tours, en perte de vitesse depuis une dizaine d’années, ces chemins pourraient lui donner une identité nouvelle.

« La classique des feuilles mortes [son surnom qu’elle partage avec le Tour de Lombardie] va devenir la classique des feuilles de vignes », formulait Christian Prudhomme, directeur d’ASO, le mois dernier. Pas si vite : l’innovation est là pour deux, trois ans, et « on fera un bilan pour voir ce que cela apporte à la course », précise Thierry Gouvenou, son directeur sportif.

Le rêve d’une « Strade bianche » française

Celui chargé de dessiner les parcours des épreuves d’ASO passe son temps dans les vignobles, ces derniers temps. Non qu’il soit un ivrogne : Thierry Gouvenou prospecte. Son rêve du moment, c’est de créer, dans quelques années, une nouvelle course inspirée des Strade bianche (littéralement « routes blanches » en italien), épreuve de début de saison en Italie qui, avec ses chemins blancs dans le Chianti, en Toscane, et son arrivée sur la majestueuse place du Palio de Sienne, s’est fait, en onze ans à peine, une place de choix dans le début de saison cycliste.

Sur les Strade bianche, en 2014. / FABIO FERRARI / LA PRESSE

« Parmi les nouvelles courses créées ces dernières années, les Strade bianche sont la plus réussie, la seule qui apporte quelque chose de nouveau. Si on trouvait un jour le terrain idéal, j’aimerais qu’on puisse avoir ça en France, explique Thierry Gouvernou au Monde. Mais les Italiens l’ont bien compris : il faut des paysages, un lieu qui parle au monde entier. Mais c’est un gros boulot pour trouver l’endroit : on aimerait des chemins plus longs que sur Paris-Tours, Paris-Roubaix annonce 50 kilomètres de pavés, pour une course de chemins il en faudrait au moins 30 kilomètres. »

L’ancien coureur a cherché dans les vignobles les plus glamours : Champagne et Bourgogne. Sans trouver, jusqu’à présent, le lieu idoine. Il lui a été soufflé d’aller chercher dans le Languedoc. Il réfléchit à haute voix : « Peut-être que ce sera Paris-Tours ? En cherchant un peu plus… »

Sur le Tour, un col non bitumé ?

En 2016, ASO avait déjà placé des chemins de terre près de l’arrivée de la première étape de Paris-Nice, à Vendôme, où aura lieu le ravitaillement de ce Paris-Tours (qui part en réalité de Chartres). La quête de Thierry Gouvenou est désormais de trouver un chemin pour les coureurs du Tour de France.

« On voudrait un col. On aimerait trouver l’équivalent de ce qu’ont les organisateurs du Tour d’Italie avec le colle delle Finestre », dit-il en référence à cette ascension redoutable mise en 2005 au parcours du Giro et dont les huit derniers kilomètres ne sont pas goudronnés. C’est dans ce col d’un autre temps que Christopher Froome avait, au mois de mai, lancé son offensive vers la victoire au classement final.

Le peloton du Tour d’Italie sur les pentes en terre du colle delle Finestre, le 25 mai 2018. / LUCA BETTINI / AFP

« Ce qu’on a envie de retrouver, précise Gouvenou, c’est cette image des coureurs au milieu de la montagne sur un chemin empierré, comme lorsque les organisateurs du Tour ont envoyé les coureurs sur le Tourmalet en 1910. Je me dis qu’ils prenaient plus de risques que nous. »