Pour sa première conférence de presse, jeudi 4 octobre, comme entraîneur des « Canaris », Vahid Halilhodzic a adopté des accents à la Churchill. Chez lui, « des larmes et du sang » se traduit par : « J’ai dit aux joueurs : “Aujourd’hui, je ne peux vous promettre que du travail et de la souffrance. Peut-être qu’un jour on va rigoler…” » 

Le ton est donné, le personnage de nouveau en place, celle libérée par le Portugais Miguel Cardoso, débarqué mardi par le président Waldemar Kita alors que le Football club de Nantes (FCN) – qui se déplace à Bordeaux dimanche (15 heures) – pointe à la 19e place du classement.

Le Bosnien retrouve le championnat de France treize ans après son départ avec pertes, fracas et chasse à la taupe du Paris-Saint-Germain. Persuadé – à juste titre – que ses propos sont rapportés dans la presse, Halilhodzic cherche le tuyau percé dans son vestiaire et verse dans « la paranoïa totale », selon son président de l’époque, Francis Graille. « Coach Vahid » prend alors son baluchon pour arpenter les championnats turc, saoudien, croate ou s’essayer comme sélectionneur de la Côte d’Ivoire, de l’Algérie et du Japon. 

Mais Vahid Halilhodzic avait une dernière affaire à régler avec son pays d’adoption, dont il possède la nationalité depuis 1995. « Il a toujours voulu entraîner Nantes. C’est son club de cœur et le poste lui est souvent passé sous le nez », explique Christophe Pignol. Champion de France avec le FCN en 1995, l’ex-défenseur est passé sous ses ordres à Lille entre 2000 et 2002. Il s’amuse de l’effervescence médiatique autour de son retour. « Quand Ricardo revient à Bordeaux, on en parle une journée. Vahid, cela fait quinze jours qu’on ne parle que de lui. Il y a toujours un nouvel épisode, c’est “Vahid fait des pompes”, “Vahid parle à ses joueurs”... »

Halilhodzic «Vahid, il n'est pas trop comme ça» - Foot - L1 - Nantes
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« Même les dirigeants avaient peur de lui »

Le premier entraînement à Nantes plante le décor mardi, au centre de la Jonelière. Vahid Halilhodzic prend la parole pendant trente minutes devant son nouveau groupe, avant d’enchaîner sur une séance de deux heures ponctuée par quelques tours de terrain et une série de pompes. Avec un message derrière : à 66 printemps, l’ancien buteur du club (de 1981 à 1986) dépasse peut-être d’un an l’âge limite pour exercer en Ligue 1 (le FCN obtiendra une dérogation), mais il conserve sa ligne et sa vitalité de jeune homme.

Dans le personnage de « coach Vahid », tout part du physique. Haute stature, épaules larges et regard d’aigle qui foudroie, le technicien « en impose tout de suite », assure son ancien joueur à Lille, Grégory Tafforeau. « Il a du charisme et il va s’en servir pour t’impressionner, poursuit-il. Même les dirigeants avaient peur de lui. »

« Coach Vahid » mène le footing, le 2 octobre à Nantes. / SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP

Quand il arrive au chevet du LOSC en septembre 1998, le club erre à la 17e place de D2. Trois ans plus tard, son armée de sans-grades se hisse en Ligue des champions. Une progression obtenue par un entraîneur qui tire le maximum « de joueurs moyens », comme le rappelle Johnny Ecker, auteur d’un mémorable coup-franc à Parme lors d’un match qualification pour la phase de groupe de la C1.

« Costard cravache », titre Libération à son sujet dans un portrait à l’époque. Ecker détaille pour la cravache :

« Dès mon premier jour, Vahid m’a prévenu : “Tu vas maigrir, tu vas souffrir maintenant.” Il disait toujours que celui qui vomissait à l’entraînement, il l’embrassait, parce que ça voulait dire qu’on était allé au bout de soi-même. »

Lille-Manchester (1-1), 31 octobre 2001, égalisation de Bruno Cheyrou
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A défaut de génie, les Lillois courent plus vite, plus longtemps et toujours ensemble. Le stage de fin de saison entre Noël et le Nouvel An est redouté. Olivier Echouafni l’expérimente en 2002 à Rennes, où Halilhodzic applique son traitement de choc à une équipe en crise. « Je n’ai jamais autant couru de ma carrière. Le 31 décembre, je me suis couché très tôt, j’arrivais à peine à lever ma coupe de champagne », exhume l’ancien milieu de terrain.

Troisième personne du singulier

Mais avant de demander de la sueur, l’entraîneur exige de ses troupes une haine viscérale de la défaite. A Lille, les plus anciens gardent en mémoire sa colère froide à son arrivée. « Après une défaite, les joueurs ont commencé à rigoler. J’ai stoppé le bus. J’ai dit “je suis déçu. Si vous rigolez, vous sortez et rentrez à pied” », racontait-il à L’Equipe en 2001.

Vahid Halilhodzic instaure une pesée hebdomadaire, exige qu’on se lève en sa présence pour le saluer et chasse les retards. « Je suis resté une saison avec lui, je ne suis jamais arrivé en retard le matin. J’avais tellement peur que j’avais branché trois réveils », en sourit encore Grégory Tafforeau.

Le Nord adopte l’enfant de Mostar. Cabot, il aime venir récolter avant les matchs l’ovation du public du stade Grimonprez-Jooris et régale les médias. Entre son accent (qui le complexe), son éternel imperméable et son goût pour la 3e personne du singulier (« Quand ils gagnent, les joueurs peuvent chambrer Vahid. Quand ils perdent, non »), Halilhodzic est bien la star de son équipe.

L'entraîneur de Lille Vahid Halilhodzic salue les supporteurs du club, le 20 mai 2000. / PHILIPPE HUGUEN / AFP

A son arrivée à Nantes, l’attaquant avait lancé à son entraîneur, Jean-Claude Suaudeau, qu’il était « une statue » en Yougoslavie. Le 23 novembre 2001, il devient une marionnette en latex. « Les Guignols de l’info » le campe en entraîneur despotique, comme lors de ce premier sketch : « En cas défaite, Vahid prend joueur au hasard et exécute lui balle dans nuque. » [sic] Dans un autre, on le voit fouetter ses hommes. « C’était imagé, mais c’était un peu ça », concède Ecker, dont l’une des marionnettes porte son maillot.

L’intéressé rit jaune. S’il est « un peu comédien dans son fonctionnement », dit Christophe Pignol, la caricature le touche. « Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas comme ça. Certains sont contents de passer aux Guignols de l’info. Pas moi. » En 2012, Halilhodzic admet dans un entretien à France Football sa part de responsabilité dans sa « guignolisation » :

« J’étais un peu rigide. Mais je suis quelqu’un d’attachant, sincère, fidèle. Je suis même un peu naïf. A un moment donné, j’étais plus connu pour mon guignol que pour mon travail. »

Ruiné et marqué par la guerre

Oui, l’entraîneur est exigeant, « toujours sur ton dos », admet Johnny Ecker. Oui, un joueur du LOSC (Ted Agasson) a préféré refuser une prolongation de contrat plutôt que poursuivre sous ses ordres. Mais ses anciens protégés décrivent un autre « coach Vahid » : « Un type avec beaucoup d’humour » (Pignol), « qui ne fait pas de différences entre les joueurs » (Tafforeau), « que je remercierai toute ma vie » (Ecker).

En avril 2001, Christope Pignol contracte une leucémie aiguë. « Il a été proche de moi, de ma famille, salue celui qui mettra un an à vaincre la maladie. J’ai un grand respect pour l’homme. Quand j’ai essayé de revenir, il m’a donné ma chance. Il possède une grande sensibilité, c’est aussi dû à ce qu’il a vécu. »

Après sa carrière de joueur, Vahid Halilhodzic avait réussi sa reconversion. A Mostar, il possédait une boulangerie, un café, une boutique Benneton, avait trouvé le temps de décrocher des diplômes universitaires en biomécanique et mathématique. C’était avant que la Yougoslavie ne vole en éclats.

« En une journée, j’ai perdu tout mon travail de vingt ans. Parce que j’étais musulman, riche et célèbre, ils ont bombardé ma maison et ma vie. » En 1993, il met sa famille à l’abri dans un appartement de la rue Lauriston, à Paris, acheté du temps où il était l’avant-centre du PSG. Seul, il organise des convois humanitaires entre la Bosnie et l’Allemagne. Mais il est contraint de quitter Mostar pour fuir les paramilitaires croates qui cherchent à le tuer.

« Vahid n’est pas un tyran »

Devenu réfugié, Halilhodzic prend les commandes de Beauvais en D2. Echec. L’intéressé admettra qu’il n’était pas prêt, pas remis de « ces atrocités que l’on croyait réservées aux livres d’histoire ». Du chômage – pendant trois ans – il dira que « cela a été pire que la guerre ». Il finira par rebondir au Raja Casablanca.

A Lille, le Bosnien partage avec ses joueurs ce passé encore brûlant. Il s’en sert, comme le confie Johnny Ecker.

« Il parlait souvent de la Bosnie. Il nous disait parfois après une défaite qu’on était des enfants gâtés, qu’on n’avait jamais connu la guerre, c’était une façon pour lui de nous titiller. Et ça marchait. »

Vahid Halilhodzic lorsqu’il entraînait Rennes, le 15 octobre 2002. / VALERY HACHE / AFP

« Vahid n’est pas un tyran ! », se défendait-il en 2012 dans les colonnes de France Football. Au moment de retrouver les bancs de la Ligue 1, il n’échappe pas à ces anecdotes qui ont aussi contribué à sa légende. A commencer par l’épisode de la Playstation à Rennes.

Pris manettes à la main à la veille d’un match à Strasbourg, Lamine Diatta et Anthony Reveillère sont priés de rentrer en Ille-et-Vilaine « et par leurs propres moyens », rappelle Olivier Echouafni. « Il avait voulu faire un exemple, poursuit le joueur. Mais on avait gagné ce match et derrière, il avait traité Lamine et Anthony comme les autres. »

Le Bosnien justifiera sa décision, arguments scientifiques à l’appui. « Trois heures de Playstation équivalent à quarante-cinq minutes de match physiquement et à la totalité d’une rencontre émotionnellement. »

Aujourd’hui, se pose la question de la compatibilité de la méthode « Vahid » avec l’époque et la nouvelle génération. « Je pense qu’il a dû mettre un peu d’eau dans son vin, mais pas trop non plus, avance Johnny Ecker. Il ne cautionnera pas certains comportements. » « Il est très intelligent, sait s’adapter et va tenir compte de l’évolution des mentalités », veut aussi croire Grégory Tafforeau.

Pour sa présentation, il a tenu à rassurer ses joueurs : « Je les trouve un peu inquiets, car ils ont entendu beaucoup de choses sur Vahid, mais il y a beaucoup de conneries qui sortent sur Vahid. » Bonne nouvelle pour lui, les Guignols ne sont plus là pour le grimer en tyran sadique des Balkans.