Un homme installe un bureau de vote dans une école publique à Rio de Janeiro, samedi 6 octobre. / Leo Correa / AP

Exaspéré par la corruption de ses élites, fatigué par une crise interminable, le Brésil veut une révolution et entend le démontrer lors des élections générales. Alors que se décide le premier tour, dimanche 7 octobre, Jair Bolsonaro, candidat d’extrême droite, « anti-establishment » mais aussi raciste, misogyne et homophobe, reste ultra favori avec 40 % des intentions de votes, selon l’enquête Datafolha du 6 octobre. Il devance Fernando Haddad du Parti des travailleurs (PT, gauche) à 25 %.

Des élections générales

Les électeurs sont appelés à renouveler l’intégralité de la chambre des députés (513 députés) et deux tiers du Sénat (54 sur 81). Ils doivent aussi désigner vingt-sept gouverneurs d’Etats ainsi que plus d’un millier de députés régionaux et bien sûr leur futur président de la République, accompagné de son vice-président.

Le grand favori du scrutin, Jair Bolsonaro, candidat d’extrême droite, plaît pour son profil atypique, provocateur et « anti-système ». Il est en réalité le produit de ce système qu’il prétend mépriser : entré en politique à la fin des années 1980, il a été élu sept fois député.

Quant au Congrès, selon un article de la revue IstoE, du 5 octobre, il est à prévoir que seul 25 % du parlement brésilien sera de facto rénové. Le reste marquera la réélection d’anciens députés et sénateurs, l’accession au pouvoir de vieux dinosaures ayant occupé d’autres postes ou des « fils/filles de ». Il en va ainsi de Danielle Cunha, fille de l’ancien député Eduardo Cunha, emprisonné dans le cadre de l’opération « Lava-Jato » (lavage express), connu pour avoir orchestré l’« impeachment » (destitution) de la présidente de gauche Dilma Rousseff en 2016. Ou des fils de Jair Bolsonaro, Flavio, candidat au Sénat, et Eduardo, candidat à la chambre des députés…

« Le Brésil est une grande oligarchie. Plus de 65 % des membres du Sénat sont issus de dynasties politiques », atteste Silvio Costa, du site Congresso em foco, chargé du suivi de l’actualité parlementaire.

Une présidentielle marquée par la haine anti-Lula et une volonté de « dégagisme »

Absent du scrutin, emprisonné pour corruption, l’ancien chef d’Etat, Luiz Inacio Lula da Silva, continue de hanter l’élection présidentielle. Haï par une partie de la population, chéri par une autre, il aura servi de marqueur tout au long d’une campagne atypique. Chacun des candidats a dû se positionner pour ou contre l’ancien métallo et le Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir de 2003 à 2016.

Reflet de cette polarisation, les deux favoris sont d’un côté Jair Bolsonaro, qui a construit son ascension sur une profonde détestation de Lula et du PT, de l’autre, Fernando Haddad, remplaçant de Lula, dont il promet de préserver l’héritage. Tous deux devraient, sauf coup de théâtre, être sélectionnés pour le second tour, avant le duel final prévu le 28 octobre. Voici leur profil ainsi que celui de leurs principaux adversaires.

  • Jair Bolsonaro, le nostalgique de la dictature et de ses tortionnaires

A l’extrême droite, Jair Bolsonaro, militaire de réserve, est en tête du scrutin. Avec 40 % des intentions de votes, il a su profiter de ce sentiment d’exaspération envers le PT au pouvoir plus d’une décennie, Lula et les scandales de corruption. Se présentant comme « honnête » et « patriote », il promet, sur le ton de la plaisanterie, dira-t-il plus tard, de « fusiller les “petralhas” », les membres du PT. Un ton agressif qui lui a valu le soutien de cette classe moyenne désenchantée par la crise et apeurée par le déclassement.

Dans un pays nourri par un sentiment de chaos et de décadence, ce grand nostalgique de la dictature (1964-1985) incarne la figure du militaire, garant de l’ordre et de l’autorité qui serait à même de venir à bout de l’insécurité qui gangrène le pays. Après une attaque au couteau le 6 septembre qui a failli lui coûter la vie, Jair Bolsonaro, a cultivé, via une campagne orchestrée presque exclusivement via les réseaux sociaux, son profil de « sauveur de la patrie ». En dépit de ses propos racistes, misogynes, homophobes, il fédère désormais une partie de la bourgeoisie, des chrétiens évangéliques, du monde agricole et des milieux d’affaires.

  • Fernando Haddad, le poulain de Lula

Considéré par ses contempteurs comme la « marionnette de Lula », Fernando Haddad est sorti de l’ombre le mardi 11 septembre après avoir été adoubé par le « père des pauvres », dont la candidature venait d’être rejetée du fait de sa condamnation pour corruption. L’ancien maire de Sao Paulo, inconnu du grand public, a alors mené une campagne sans ambiguïté, baptisée « Haddad est Lula » pour profiter de l’aura de son mentor. Une stratégie qui a permis à l’ancien ministre de l’éducation de progresser dans les enquêtes d’opinion jusqu’à devenir le challenger de Jair Bolsonaro. Il est aujourd’hui crédité de 25 % des intentions de votes.

Mais la bénédiction de Lula et son appartenance au PT provoquent également le rejet d’une partie du Brésil fatiguée des promesses de la gauche et avide de changement. En l’absence de Jair Bolsonaro lors des débats, Fernando Haddad est devenu l’homme à abattre. Il a dû affronter des feux nourris de la quasi-totalité de ses adversaires qui, de Geraldo Alckmin (droite) à Marina Silva en passant par Ciro Gomes (centre gauche) l’ont confronté au bilan du PT, dont une partie de l’état-major est impliquée dans des scandales de corruption et dont la politique dépensière est jugée en partie responsable de la récession historique de 2015.

Désireux d’incarner une « troisième voie », les autres candidats ont renvoyé dos à dos le PT et Jair Bolsonaro, deux extrêmes représentant un danger équivalent pour le Brésil. Une stratégie risquée, qui, à ce stade, n’a fait que légitimer l’ascension du héraut de l’extrême droite.

  • Marina Silva, l’écolo évangélique

Originaire de Rio Branco, capitale de l’Etat de l’Acre au fin fond de l’Amazonie, l’ancienne ministre de l’écologie de Lula a remporté 20 % des voix lors des deux précédents scrutins présidentiels. Femme de caractère, elle avait jeté sa carte du PT, dégoûtée par les concessions du gouvernement à l’agrobusiness. A 60 ans, elle espérait vivre, enfin, son moment.

Las, créditée de 16 % des intentions de votes en août, celle qui fut domestique et analphabète jusqu’à ses 16 ans affiche désormais un médiocre 3 %. Pas assez incisive pour les uns, mal préparée pour les autres, la leader du parti écologiste a semblé inaudible dans une campagne agressive.

  • Geraldo Alckmin, le candidat de l’establishment dépassé par l’extrême droite

Ancien gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, l’ex-président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), 65 ans, représente le camp de la droite républicaine. Une droite « élégante » mais décrédibilisée pour avoir participé au gouvernement du très impopulaire Michel Temer, accusé d’avoir enfoncé le Brésil dans les tréfonds d’une crise morale et politique.

Face à des électeurs écœurés par les scandales de corruption, le PSDB pâtit des multiples affaires ou soupçons entourant Aecio Neves, candidat du scrutin de 2014. Comparé à un sorbet de « chu chu », une cucurbitacée insipide, pour son manque de charisme, Géraldo Alckmin, a été incapable de se distinguer face à ceux qu’il qualifie de « deux faces d’une même pièce », Fernando Haddad et Jair Bolsonaro. Stagnant à 8 % des intentions de votes, il a perdu l’appui des milieux d’affaires qui lui ont préféré Jair Bolsonaro et son très libéral conseiller économique, Paulo Guedes.

  • Ciro Gomes, l’exalté, espoir d’une troisième voie

Celui qui fut à la fois ministre du gouvernement d’Itamar Franco en 1994 et de Lula – de 2003 à 2006 – a navigué entre sept partis avant d’échouer au Parti démocratique travailliste (PDT, centre gauche). Longtemps considéré comme un suppléant potentiel de Lula, dont il s’est dit chagriné par la condamnation, Ciro Gomes a perdu de l’élan après la candidature de Fernando Haddad. Il est aujourd’hui crédité de 15 % des intentions de votes.

Réputé pour son impulsivité, il a expliqué à Marina Silva que cette campagne avait besoin de « testostérone » et s’est laissé aller, lors d’un meeting de campagne, à insulter un journaliste de « fils de pute ». L’ascension vertigineuse de Jair Bolsonaro et la haine anti-PT feraient de Ciro Gomes une option crédible pour incarner une « troisième voie » et offrir la victoire du camp progressiste face à l’extrême droite. Dans les simulations de second tour, Ciro Gomes est le seul à battre Jair Bolsonaro à 47 % contre 43 % selon l’enquête Datafolha du 6 octobre. Il lui reste à décrocher une improbable place au second tour.

Une campagne axée sur la morale et l’insécurité

  • Sécurité Dans un pays où une personne est, en moyenne, assassinée toutes les dix minutes, le thème de la violence est omniprésent. A ce fléau, les partis traditionnels répondent par des mesures connues : une hausse des investissements dans les dispositifs de sécurité, une meilleure coordination entre les polices fédérales et régionales, militaires et civiles ou des politiques à plus long terme (éducation, réduction des inégalités). Jair Bolsonaro se distingue par une démonstration de force et d’autorité et une antienne : « Bandido bom é bandido morto » (« un bon bandit est un bandit mort »). Proposant de revenir sur l’« estatuto do desarmamento » (loi sur le désarmement) de 2003, il compte abaisser la majorité pénale à 16 ans, interdire les aménagements de peine et amnistier les crimes commis par des policiers. Une politique applaudie par nombre d’habitants des périphéries de grandes villes, usés par la barbarie des gangs et des milices.
  • Economie Après une récession historique, le thème de l’économie est l’autre sujet majeur. Avec une dette publique estimée à près de 90 % du produit intérieur brut (PIB) à la limite du soutenable pour un pays émergent, les candidats ont dû faire montre d’un sens de la responsabilité budgétaire. Geraldo Ackmin a tenté de se différencier, se présentant comme l’homme des réformes. Mais c’est Jair Bolsonaro qui a remporté, in fine, l’adhésion des milieux d’affaires reconnaissant « ne rien connaître en économie ». Une stratégie de l’esquive visant à mieux mettre en avant son conseiller Paulo Guedes. Un « Chicago Boy » ultralibéral qui propose d’éponger la dette en privatisant à outrance.
  • Morale L’écœurement des Brésiliens face aux scandales de corruption s’est accompagné d’une tendance au repli sur les valeurs traditionnelles que sont Dieu, la patrie, la famille, l’éthique. Bien avant le démarrage de la campagne, les polémiques frappant le monde de la culture ont donné le signal d’une montée d’un courant ultra-conservateur. Ainsi, lors de la venue de la philosophe américaine Judith Butler – auteure du célèbre ouvrage Trouble dans le genre –, son effigie avait été brûlée telle une sorcière au temps de l’inquisition. Avec un slogan « Le Brésil par-dessus tout et Dieu au-dessus de tous », Jair Bolsonaro, pourfendeur du droit à l’avortement et d’une pseudo-théorie du genre enseignée à l’école, a su capter les voix de mères inquiètes de la « perversité » du monde moderne et le vote de grandes Eglises évangéliques.