Geneviève Zabré à Ouagadougou fin septembre 2018. / Sophie Douce

« Je voudrais vous parler du mouton, non pas de sa bonne viande, ni de son impact économique, mais de son interférence avec le réchauffement climatique ! » Geneviève Zabré, grand sourire, entre sur scène. Son attaque a de quoi surprendre. Nous sommes à la finale internationale du concours de vulgarisation scientifique « Ma thèse en 180 secondes », coorganisé par l’Agence universitaire de la Francophonie, qui se déroulait le 27 septembre à l’université de Lausanne, en Suisse.

Le décompte vient de commencer, la chercheuse burkinabée a trois minutes pour convaincre. « Dans la panse du mouton, comme chez tous les ruminants, sont logées des bactéries méthanogènes à l’origine d’un gaz qui se libère dans l’atmosphère lorsque le mouton rote. Une véritable bombe à retardement pour notre planète. Alors peut-on empêcher le mouton de roter ? Pas évident ! Une solution existe : éliminer ces bactéries en utilisant nos plantes médicinales », explique la Ouagalaise, déclenchant le rire dans l’assemblée composée de scientifiques et d’universitaires. Le chrono file, quelques « longues minutes » plus tard, applaudissements du public et soupir de soulagement.

« Etre naturelle »

La jeune docteur Geneviève Zabré a remporté le premier prix face à 18 concurrents de différentes nationalités. « C’est une fierté de représenter mon pays et de faire connaître ma recherche au grand public, c’est la récompense de nombreuses heures de travail », confie la docteure de 31 ans, tout juste rentrée de son voyage en Suisse, à son domicile du quartier de Wayalghin à Ouagadougou. « J’étais assez stressée, ce n’était pas facile de gérer le temps, le stress et le public, mais je voulais rester moi-même, être naturelle dans ma présentation », avoue la jeune femme, qui a écrit son texte « toute seule à la maison » et l’a répété devant ses proches.

MT180 - Finale internationale 2018 - Geneviève ZABRÉ - 1ᵉʳ Prix
Durée : 03:47

Prouver les vertus de la pharmacopée traditionnelle africaine, l’idée lui est venue au cours de ses études à l’université de Ouagadougou, où elle a obtenu une licence en chimie-biologie et un master en protection et amélioration des plantes. « Les éleveurs burkinabés soignent leurs animaux grâce aux végétaux. J’ai voulu tester les qualités de l’acacia nilotica et raddiana, appelés gomme du Sahel, très abondants dans la zone de Dori, dans le nord du pays », précise-t-elle.

L’étudiante s’intéresse également au changement climatique et aux méthodes de réduction des gaz à effet de serre. « Le méthane représente environ 15 % du réchauffement, les ruminants à eux seuls en émettent 3 % », pointe-t-elle. Un jour, un de ses professeurs lui propose de réaliser sa thèse avec le soutien de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dans le cadre d’un programme tripartite France-Afrique-Brésil sur la lutte contre la désertification en Afrique. « J’ai sauté sur l’occasion et j’ai foncé », se souvient-elle. Elle se met au travail.

Le temps des casseroles

Durant quatre ans, la thésarde ne compte pas ses heures entre études de terrain dans le nord et les analyses au laboratoire de physiologie animale de la capitale. En juin, la jeune femme décroche sa thèse, intitulée « Utilisation des plantes médicinales dans la lutte contre le méthane émis par les ruminants : cas des ovins ». Elle y démontre le rôle de l’acacia pour lutter contre la pollution des élevages d’ovins. Pour éliminer les bactéries méthanogènes, qu’elle surnomme « petites bêtes », produisant le méthane dans le tube digestif des moutons, « c’est très simple, il suffit de récolter quelques feuilles d’arbres et de les ajouter à l’alimentation des animaux. Ces plantes médicinales contiennent des métabolismes secondaires, des petites machines chimiques, qui suppriment les bactéries », résume Geneviève Zabré. « Le problème de l’émission de méthane va devenir crucial, analyse-t-elle. D’autant plus qu’il y a beaucoup de ruminants en Afrique et que le réchauffement climatique va amoindrir la qualité du fourrage destiné à nourrir les animaux. »

Etre une femme et se lancer dans la recherche scientifique au Burkina Faso est un chemin semé d’embûches, reconnaît Geneviève Zabré. « Ici le monde de la science est assez masculin. C’est très difficile pour une femme doctorante de concilier vies conjugale et professionnelle. Les remarques ne manquent pas, les hommes te disent : “A cette heure tu devrais être à la maison”. Je leur réponds : “Il y a une heure pour les casseroles et une heure pour les études !” » Bien que la jeune femme ait été récompensée du prix de la meilleure recherche féminine au Burkina, il lui est difficile de trouver les financements pour son travail : « Je n’ai jamais pu avoir de bourse, heureusement ma famille était là pour m’aider. Je me débrouillais comme je pouvais. »

Aujourd’hui Geneviève Zabré travaille comme attachée temporaire de recherche à l’université Ouaga 1 « pour compléter ses revenus ». La récompense du concours, 1 500 euros au total, devrait encourager cette « amoureuse de la recherche » à se lancer dans un post-doctorat. Le sujet ? « Suspense ! Mais cela portera toujours sur les plantes médicinales. Vous savez, on ne finira jamais de découvrir leurs vertus », conclut-elle dans un rire plein d’assurance.