Répondant à un appel lancé par Témoignage chrétien, le groupe socialiste au Sénat va formellement demander la création d’une commission d’enquête sur les crimes de pédophilie dans l’Eglise, mardi 9 octobre. Patrick Kanner, chef de file des sénateurs socialistes, en formalisera la demande par courrier dans la journée, a-t-il affirmé au Monde.

Le 30 septembre, l’hebdomadaire catholique lançait une pétition pour demander aux parlementaires de « faire toute la transparence sur les crimes de pédophilie et leur dissimulation dans l’Eglise catholique ». Dans ce texte, les signataires estimaient qu’il appartenait à une commission d’enquête de s’y atteler, car « seule une commission parlementaire a le pouvoir de faire la lumière sur le passé pour éviter qu’il ne se reproduise, en exigeant la communication des archives diocésaines, en interrogeant les acteurs, et en communiquant à la justice les faits dont celle-ci n’aurait pas eu connaissance ».

Parmi les premiers signataires de cet appel figuraient notamment deux sénatrices socialistes : l’ancienne ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de la Gontrie. Le sujet avait rebondi dans un premier temps à l’Assemblée nationale. Egalement signataire de la pétition, la chef de file des députés socialistes, Valérie Rabault, avait demandé à Richard Ferrand, président de l’institution issu des rangs de Le République en marche, de donner suite à cet appel. Il y avait opposé une fin de non-recevoir. « Que ceux qui lancent ces idées s’en saisissent jusqu’au bout et les mènent jusqu’à leur terme », avait-il lancé invitant les socialistes à utiliser leur « droit de tirage » qui leur permet une fois par an de lancer une commission d’enquête.

« Droit de tirage »

Mais les députés socialistes n’étaient pas unanimes à l’idée d’utiliser ce pouvoir qui ne leur revient qu’une fois par an. Le sujet a donc rebondi au Sénat. Au palais du Luxembourg non plus, l’institution n’a pas souhaité porter elle-même le sujet. Les sénateurs socialistes utiliseront donc leur « droit de tirage » sur ce projet de commission d’enquête portant « sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et faits de pédocriminalité commis dans une relation d’autorité au sein de l’Eglise catholique en France », ont-ils décidé.

Le processus n’est toutefois pas clos. La ministre de la justice, Nicole Belloubet, devra dans un premier temps donner son accord. Une commission d’enquête ne peut, en effet, pas travailler sur des faits qui font l’objet de poursuites judiciaires en cours. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la commission de l’affaire Alexandre Benalla, l’ancien chargé de mission de l’Elysée n’avait pu être interrogé par les sénateurs sur les violences qu’il avait commises place de la Contrescarpe à Paris le 1er-Mai. Si elle voit le jour, la commission d’enquête sur la pédophilie dans l’Eglise ne pourra donc pas aborder des cas actuellement instruits par la justice. « Nous n’enquêterons pas sur les faits, mais sur les dispositifs qui ont permis que des crimes pédophiles ont pu être étouffés par une partie de la hiérarchie de l’Eglise », précise auprès du Monde Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat.

La droite et le centre peuvent s’y opposer

Une fois les limites posées par la garde des sceaux, la commission des lois au palais du Luxembourg aura à son tour à se prononcer sur le dessein des socialistes. C’est là que peut résider un ultime obstacle. Dans cette commission siègent en majorité des sénateurs Les Républicains, peu allants quant au projet de Témoignage chrétien. Les centristes eux aussi ont exprimé des réserves. « A titre personnel, je ne pense pas qu’il appartienne au Parlement de s’engager dans une commission d’enquête sur le fonctionnement de l’Eglise catholique. Si on commence à s’ingérer dans les fonctionnements des cultes et de leur organisation, on ne va pas en sortir », a ainsi prévenu le sénateur centriste Hervé Marseille sur Public Sénat.

Ces oppositions politiques pourraient-elles se mettre en travers du chemin des socialistes ? « Les catholiques sont extrêmement favorables à cette démarche », insiste M. Kanner. A l’appui de son argument, le sondage publié dans Le Parisien mardi 9 octobre, affirmant que 87 % des catholiques et même 90 % des pratiquants soutiennent l’initiative de Témoignage chrétien. Si, en général, au nom des droits de l’opposition, les créations de commission d’enquête ne sont pas rejetées, un bras de fer politique devrait néanmoins s’engager dans les couloirs du Sénat ces prochains jours pour que le projet aboutisse.