Leonardo Jardim est pensif : son aventure monégasque est sur le point de s’achever. / ERIC GAILLARD / REUTERS

Sale temps pour le football français. En quelques mois, le championnat de France vient de perdre deux entraîneurs réputés et plutôt excitants. Après le départ du Suisse Lucien Favre, qui a quitté volontairement Nice pour Dortmund, c’est au tour du Portugais Leonardo Jardim d’abandonner son Rocher. Mais la fin est moins heureuse pour l’entraîneur qui a mené l’AS Monaco au titre national lors de la saison 2016-2017. Sans parler la même année d’une place de demi-finaliste de la Ligue des champions. Il s’en va contraint et forcé, selon les informations de Nice-Matin et L’Equipe confirmées à l’AFP, alors que son équipe connaît un début de saison catastrophique (18e de Ligue 1 et deux défaites européennes).

Leonardo Jardim ne vivra pas une cinquième saison consécutive sur le banc monégasque. En quatre ans, il a marqué de son empreinte le club de la Principauté. Il s’est imposé comme le maître d’œuvre de la stratégie de trading décidée par le propriétaire russe, Dmitri Rybolovlev. Chaque saison, il a su jongler avec les nombreux départs imposés de ses meilleurs joueurs et les non moins nombreuses arrivées de nouveaux joueurs en devenir.

Retour sur les trois périodes monégasques de Jardim.

  • Des débuts critiqués et même moqués

Lorsqu’il débarque sur la Côte d’Azur à l’été 2014, en provenance du Sporting Lisbonne, Leonardo Jardim doit composer avec un changement radical de stratégie. Fini le temps de l’abondance, les achats pour 130 millions d’euros en 2013 des quatre fantastiques (les Colombiens James Rodriguez et Radamel Falcao, les Portugais João Moutinho et Ricardo Carvalho) paraissent loin. Le propriétaire russe Rybolovlev ordonne les ventes de James au Real pour 90 millions d’euros et le départ en prêt de Falcao à Manchester United, assorti d’une option d’achat de 55 millions. On a connu accueil plus chaleureux pour un entraîneur.

Sur le terrain, les débuts de Jardim sont compliqués. Le Lusitanien tâtonne. Il expérimente et les premiers résultats sont décevants. En septembre, après un mois de compétition, Monaco est avant-dernier. Les critiques sont dures, parfois à la limite de la xénophobie lorsqu’elles se moquent de son accent prononcé. Une partie de la presse ne manque pas une occasion de le remettre en question. L’humoriste Julien Cazarre, dans l’émission « J + 1 », en fait souvent une caricature du maçon portugais.

Patiemment, il va modifier le visage de son équipe, serrer la vis et permettre à l’ASM de retrouver un rang plus conforme à son statut. Les Monégasques terminent troisièmes de la Ligue 1 et se paient le luxe d’éliminer Arsenal en huitièmes de finale de la Ligue des champions avant de chuter en quarts contre la Juventus.

A la fin de la saison, lorsqu’il apprend qu’il n’est pas nommé parmi les quatre meilleurs entraîneurs de Ligue 1, il riposte avec un humour cinglant : « Peu importe, j’aurais peut-être le prix du meilleur maçon portugais. »

  • L’ascension vers les sommets

La saison suivante, Leonardo Jardim repart sur les mêmes bases. Avec un effectif modifié dans les grandes largeurs. Au mercato, Monaco multiplie les grosses ventes (Geoffrey Kondogbia, Layvin Kurzawa, Anthony Martial, Yannick Ferreira-Carrasco). En sens inverse, arrivent Fabinho, Wallace, Rony Lopes, Stephan El-Shaarawy ou Thomas Lemar…

L’entraîneur s’en accommode, sans protester. Il ne parvient, cependant, pas à faire franchir à son équipe les barrages de la Ligue des champions. Reversé en Ligue Europa, Monaco est éliminé sans gloire en phase de poules.

La cote de popularité de cet universitaire du football, par ailleurs, disciple du philosophe Edgar Morin, n’en sort pas renforcée. Le parcours en championnat des Monégasques le sauve. Il termine encore une fois troisième et qualifie une nouvelle fois son groupe pour la Ligue des champions.

A l’aube de sa troisième saison, à l’été 2016, personne n’imagine toutefois le scénario improbable qui va se produire. Le PSG est le grand favori. Comment imaginer qu’un club français puisse dominer les vedettes parisiennes ? Mais pour la première fois, le mercato offert par ses dirigeants à Jardim – même s’il est toujours aussi agité – révèle des ambitions à la hausse.

Les nombreux départs sont ceux de joueurs modestes ou en fin de carrière. Les recrues sont, elles, réjouissantes. On assiste au retour d’un Falcao revanchard, aux signatures des espoirs Benjamin Mendy et Djibril Sidibé ou encore à celle du futur taulier de la défense, le méconnu polonais Kamil Glik.

Dans l’ombre, un jeune joueur de presque 17 ans, pensionnaire du centre de formation, attend son heure. Kylian Mbappé n’est pas encore le champion du monde qu’il est aujourd’hui, mais son éclosion fulgurante à l’hiver 2016 va changer la saison monégasque en un triomphe inespéré.

Mbappé n’en finit plus de marquer. Sa complémentarité avec Falcao est étonnante. Leonardo Jardim est le chef d’orchestre d’un jeu séduisant. Monaco écrase tout sur son passage en Ligue 1 et au terme d’une saison record, achevée avec 95 points, remporte le titre de champion de France. Le premier depuis dix-sept ans.

Cerise sur le gâteau, en Ligue des champions, le club se hisse jusqu’en demi-finales après avoir éliminé Manchester City et le Borussia Dortmund.

  • Le mercato de trop

Ce triomphe est annonciateur d’un véritable jackpot. La curée est totale à l’été 2017 : 57 millions d’euros pour la vente de Benjamin Mendy, 50 millions pour Bernardo Silva, 45 pour celle de Tiémoué Bakayoko et surtout 180 millions d’euros pour la pépite Mbappé (d’abord sous forme d’un prêt pour aider le PSG à contourner le fair-play financier).

Alors que tout le monde attend la chute de Monaco, dont l’effectif perd en qualité, Leonardo Jardim réussit encore à faire prendre la mayonnaise. S’il échoue en Ligue des champions, quatrième de la phase de poules, il réussit à maintenir son équipe quasi tout en haut de la Ligue 1. L’ASM prend la deuxième place derrière Paris.

Mais Dmitri Rybolovlev et son vice-président, Vadim Vasilyev, se montrent encore une fois très gourmands. Trop peut-être. Durant le mercato de l’été 2018, Monaco vend les derniers joyaux de la Principauté : Fabinho (45 millions d’euros) et Lemar (70 millions). Et on monnaie même le vieux grognard Moutinho pour 5,6 millions à Wolverhampton.

Contrairement aux autres années, le recrutement semble moins heureux. Sans leur faire offense, les nouveaux venus ne semblent pas avoir la carrure pour assurer, d’entrée, dans un club du standing de Monaco, à l’image de Samuel Grandsir de Troyes ou de Jean-Eudes Aholou de Strasbourg. Et les achats à prix d’or de joueurs pas encore majeurs, à l’image du Lyonnais Willem Geubbels (transfert autour de 20 millions), ont tout d’un pari incertain sur l’avenir.

Face à cette logique commerciale, on espère encore que le savoir-faire de Jardim suffira. Les deux premiers mois de compétition sont désastreux. En neuf matchs de championnat, l’équipe n’a gagné qu’une fois et occupe la 18e place avec six points. En Ligue des champions, deux défaites en deux rencontres s’ajoutent au parcours déjà compliqué de la saison précédente.

Le technicien portugais, meilleur entraîneur de la saison 2017 (trophée de l’Union nationale des footballeurs professionnels), s’apprête donc à mettre un terme à son séjour méditerranéen. Nul doute que sa carrière n’est pas finie. On évoque déjà des pistes prestigieuses : Manchester United et le Real Madrid. Des clubs où on ne jouerait pas au Monopoly avec l’effectif à chaque intersaison. Le perdant de cette histoire n’est peut-être pas celui que l’on croit.