Et à la fin… c’est l’Allemagne – et les constructeurs automobiles – qui gagne. Mardi 9 octobre, à l’issue d’une journée marathon de plus de 13 heures de discussions et pas moins de trois tours de négociations serrées, les vingt-huit ministres de l’environnement de l’Union européenne (UE) réunis à Luxembourg pour un conseil crucial, ont accouché dans la douleur d’un compromis sur les normes d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) qui s’appliqueront aux voitures commercialisées à partir de 2020.

Ils ont fixé un objectif de réduction de 35 % d’ici à 2030. Soit un cap bien moins ambitieux que celui de 40 % fixé par le Parlement européen lors d’un vote en plénière le 3 octobre. A l’horizon 2030, chaque constructeur européen devra veiller à ce que son parc de voitures nouvellement immatriculées émette en moyenne 35 % de moins de CO2 qu’en 2021. Pour les camionnettes, l’objectif a été fixé à moins 30 %.

« L’UE est attendue comme leader sur la question »

Au lendemain de la publication du dernier rapport alarmant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les conditions pour contenir le réchauffement à 1,5 °C, plusieurs Etats, dont la France, poussait pourtant pour que l’UE revoie à la hausse ses ambitions climatiques à l’horizon 2030.

Pour son baptême du feu européen, François de Rugy n’aura pas réussi à convaincre son homologue allemande de soutenir la position des eurodéputés. « Nous défendrons l’objectif de moins 40 %, claironnait-il en arrivant à Luxembourg. L’UE est attendue comme leader sur la question du climat pour l’accord de Paris ne soit pas détricoté. »

« #Macron fait de nouveau le choix du renoncement. Comment peut-on se dire Européen et tenir un discours différent à Paris et au Luxembourg ? », tweetait mardi soir Christine Revault d’Allonnes, cheffe de file de la délégation socialiste française au Parlement européen.

Clause de révision en 2023

Pourtant, mardi matin, en début de réunion, une majorité de pays membres – dix-sept en tout – plaidait pour une réduction ambitieuse de 40 %. La France, donc, mais aussi la Suède, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, Malte, la Slovénie… Ils ont été mis en minorité, l’Autriche, en charge de la présidence tournante de l’Union européenne, ayant penché en faveur des arguments de l’Allemagne flanquée du groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie), de la Bulgarie et de la Roumanie.

Berlin, qui plaidait pour une réduction limitée à 30 % en 2030, a toujours joué carte sur table : sa priorité était de préserver son puissant secteur automobile, et les dizaines de milliers d’emplois liés, d’une conversion trop rapide à l’électrique. Les pays de l’Est avançaient d’autres arguments et demandes de dérogation, au motif que leurs constructeurs seraient pénalisés, obligés d’écouler sur le marché des véhicules propres, mais plus chers, à des populations à plus faible pouvoir d’achat qu’à l’Ouest de l’Union.

Seul lot de consolation pour le club des « ambitieux » : l’Autriche a proposé une clause de révision des objectifs de réductions d’émissions en 2023. A cette date, si les constructeurs sont trop en retard par rapport à leurs objectifs de réduction des émissions, des efforts supplémentaires pourraient théoriquement leur être demandés.

Cible « incompatible » avec les objectifs de l’accord de Paris

Certes, les Etats membres vont plus loin que l’objectif de la Commission européenne, qui n’avançait qu’une réduction de 30 %. Mais les associations du Réseau action climat (RAC) jugent cette cible « incompatible » avec les objectifs de l’accord de Paris de réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990.

« Au lendemain du rapport du GIEC qui a rappelé l’impératif de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre notamment dans les transports, les Etats membres actent des objectifs faibles qui traduisent un ralentissement du rythme de réduction des émissions CO2 des voitures neuves par rapport à la réglementation actuelle », regrettait encore le RAC mardi soir.

L’ICCT, l’ONG américaine qui a révélé le scandale du « dieselgate », a fait le calcul : pour respecter la trajectoire de l’accord de Paris, la réduction des émissions de CO2 des voitures devrait atteindre au moins 70 % d’ici à 2030… Les Pays-Bas étaient parmi les rares à se dire prêts à aller aussi loin. Mardi soir, ils ont été parmi les rares à exprimer leur désapprobation face au compromis européen. Cinq autres pays – Irlande, Slovénie, Luxembourg, Suède et Danemark – ont également souligné leur « déception » dans une déclaration commune.

Des émissions reparties à la hausse

La bataille des émissions de CO2 des voitures est d’autant plus capitale que le secteur du transport est le premier émetteur de gaz à effets de serre. Et le trafic automobile représente à lui seul environ 12 % des émissions générées par les pays de l’Union européenne. Or, comme le relève le commissaire au climat et à l’énergie, Miguel Arias Canete, « l’UE a réduit ses émissions de 23 % depuis 1990, quand les émissions liées au transport routier ont augmenté d’environ 20 % ».

Sous l’effet combiné de la chute des ventes de véhicules diesel et de l’explosion des SUV – très consommateurs en carburant –, les émissions de CO2 des véhicules neufs sont mêmes reparties à la hausse en Europe en 2017 et pour la première fois depuis 1995 en France.

La bataille n’est pas encore terminée. Pour que le texte européen discuté mardi soit définitivement adopté, le Conseil (les Etats membres) doit maintenant trouver un terrain d’entente avec le Parlement européen. Les négociations entre les deux institutions devaient débuter dès mercredi 10 octobre, a annoncé la présidence autrichienne mardi soir. Cette dernière espère aboutir à un texte définitif d’ici la fin 2018. Mais vu les différents niveaux d’ambitions défendus, les discussions entre élus et capitales risquent d’être ardues.

Comprendre le réchauffement climatique en 4 minutes
Durée : 03:53