Rouslan Bochirov (à gauche) et Alexandre Petrov, les deux agents soupçonnés d’avoir empoisonné Sergueï Skripal, le 13 septembre lors d’une interview à la chaîne de télévision russe RT Channel. / AP

Moins de deux semaines après avoir révélé le nom du premier suspect impliqué dans la tentative d’empoisonnement au Novitchok de l’ex-agent double Sergueï Skripal, et de sa fille, Ioulia, au mois de mars, au Royaume-Uni, le site d’investigation britannique Bellingcat et son partenaire russe The Insider ont identifié le deuxième suspect. Alexandre Michkine, qui agissait sous le pseudonyme d’« Alexandre Petrov », est un médecin militaire du GRU, le renseignement militaire russe. Et comme son acolyte, le colonel Anatoli Tchepiga, alias « Rouslan Bochirov », il a été décoré, en 2014, de la médaille de « héros de la Fédération de Russie », la plus haute distinction du pays.

« Cela en fait deux, deux héros de Russie », a souligné Christo Grozev, membre de Bellingcat, en présentant mardi 9 octobre depuis le Parlement anglais les résultats de l’enquête. Nés la même année, en 1979, mariés et pères de deux enfants chacun, les deux hommes, recrutés par le GRU, ont, selon le site d’investigation, suivi un parcours assez similaire qui les a amenés à se rendre l’un et l’autre en Ukraine au début du conflit meurtrier entre séparatistes prorusses et forces loyales à Kiev.

Appartements haut de gamme

Alexandre Michkine a ainsi effectué plusieurs voyages en Ukraine, mais il s’est également rendu en Transnistrie, l’enclave prorusse en Moldavie. Puis, à l’automne 2014, au moment où « Bochirov » et « Petrov », domiciliés jusqu’ici à l’adresse du siège du GRU, à Moscou, sont décorés, les deux agents déménagent dans des appartements haut de gamme d’une valeur comprise entre 350 000 et 500 000 euros, selon Bellingcat, qui en conclut que ces appartements constituaient une prime en nature complémentaire à leur titre de « héros ».

C’est à Moscou, entre 2007 et 2010, qu’il aurait reçu l’identité d’infiltration de « Petrov » – « Bochirov » ayant obtenu la sienne en 2011.

Originaire de Loyga, un village déshérité d’un millier d’habitants difficile d’accès dans le district d’Archangelsk, au nord de la Russie, Alexandre Michkine s’est installé à Saint-Pétersbourg à la fin des années 1990. En 2001, étudiant à l’Académie de médecine militaire S. M. Kirov , l’officier, dont le grade actuel reste incertain – colonel comme Tchepiga ? –, est alors formé à la médecine des forces armées de la marine russe. Un an ou deux plus tard, il obtient son diplôme. C’est à Moscou, entre 2007 et 2010, qu’il aurait ensuite reçu l’identité d’infiltration de « Petrov » – « Bochirov » ayant obtenu la sienne en 2011.

Mais contrairement à son acolyte, cette fausse identité n’est que partielle. « Petrov » a conservé nombre d’éléments biographiques de Michkine, comme la date de naissance, son prénom et son patronyme d’origine, Evguenievitch, ainsi que les prénoms de ses parents. Seul son lieu de naissance a été transféré à Kotlas, une ville située à environ 100 km de son village d’origine, où réside toujours sa grand-mère.

« Prié de ne rien dire »

Accourus sur place, des journalistes ont confirmé auprès d’habitants locaux, sur photos, qu’il s’agissait bien de la même personne que « Petrov », de la même manière que d’autres, avant eux, avaient reconnu Tchepiga-Bochirov dans sa région d’origine, dans l’extrême-est de la Russie. Toutefois, tant sur place que parmi les « centaines » d’anciens élèves de l’Académie militaire sollicités par Bellingcat, les langues ne se sont pas toujours déliées. Selon Christo Grozev, l’un de ces interlocuteurs a indiqué que « tout le monde, dans sa classe, avait été contacté deux semaines avant et été prié de ne rien dire ».

« Qu’y-a-t-il à commenter ? On donne des commentaires sur la base de preuves et il n’y en a pas », Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères

Mardi, un autre site d’investigation, CiTeam, est parvenu en parallèle aux mêmes conclusions. En fouillant les fichiers de la police routière, aisément accessibles, ses enquêteurs ont fini par trouver le « vrai » permis de conduire d’Alexandre Michkine dont la photo ne laisse guère de doute quant à sa ressemblance avec le portrait de « Petrov » diffusé par Scotland Yard. Des éléments également conformes avec les images de l’interview donnée par « Petrov » et « Bochirov » à la chaîne pro-Kremlin RT, dans laquelle les deux hommes avaient justifié leur présence, en mars, dans la ville anglaise de Salisbury, où résidait Sergueï Skripal, en se présentant comme des « touristes »

Comme il l’avait annoncé après les premières révélations sur Tchepiga, le porte-parole du Kremlin a refusé de commenter ces nouveaux éléments. Interrogée par The Insider, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, a coupé court : « Qu’y-a-t-il à commenter ? On donne des commentaires sur la base de preuves et il n’y en a pas. » Seule, l’ambassade russe à Londres a réagi en dénonçant des « informations » basées sur des « sources anonymes » qui, selon elle, « entretiennent des liens évidents avec les services secrets ». Bellingcat n’a reçu « AUCUNE information des services de renseignement britanniques », a riposté Christo Grozev sur Twitter.