L’avis du « Monde » pour « Lindy Lou, jurée n° 2 » – à voir
L’avis du « Monde » pour « RBG » – pourquoi pas

Avant que ne sorte Lindy Lou, jurée n° 2, personne n’avait entendu parler de Mme Isonhood, électrice républicaine, pilier de son église, retraitée habitant le Mississippi, Etat « rouge » (républicain), l’un des bastions de Donald Trump. A l’opposé, la matière de RBG se trouve dans la ­célébrité de son sujet, Ruth Bader Ginsburg, sommité intellectuelle, octogénaire devenue idole de la jeunesse progressiste américaine. Le calendrier cinématographique rapproche ces deux femmes, situées chacune à une extrémité du système judiciaire américain, la jurée précipitée par le hasard du tirage au sort dans le débat autour de la peine de mort, la juge à la Cour suprême des Etats-Unis. Et, aussi bien que le furieux débat autour de la nomination du juge Kavanaugh, la vision consécutive de ces deux films donne la mesure du gouffre vertigineux qui s’est creusé entre les deux camps politiques américains.

Dans le film de Florent Vassault, Lindy Lou Isonhood se lance – à l’instigation du réalisateur – à la recherche des jurés en compagnie desquels elle a voté la mort d’un homme, en 1994. Dans les lotissements de maisons cossues dispersés dans les bois du Mississippi, elle frappe à la porte de femmes et d’hommes qui, pour certains, ont oublié, quand d’autres sont taraudés par le souvenir. Lindy Lou se distingue de ses collègues d’une semaine (le procès a été expédié, les délibérations ont duré trois heures et demie) par la répugnance qui l’a saisie au moment de voter la mort. Douze ans après le procès, au jour fixé pour l’exécution de Bobby Wilcher, meurtrier de deux femmes, elle a rencontré le condamné. Après qu’il eut bénéficié d’un sursis, elle a continué de le voir jusqu’au dernier jour.

Une exécution ordinaire

Le voyage de cette femme sur les routes du Mississippi, ses étapes dans les intérieurs des anciens ­jurés, constituent à la fois un pèlerinage expiatoire et une enquête sociologique. En entrant dans les salons envahis de bibelots, en passant un moment sur un stand de tir, on entrevoit les convictions inébranlables, les fantasmes et les craintes qui façonnent une des deux moitiés des Etats-Unis. Peut-être retenu par l’inépuisable humilité de sa guide, Florent Vassault se garde de faire verser son film dans la démonstration. Cette histoire, qui ne raconte ni une erreur judiciaire ni un précédent juridique mais une exécution ordinaire, semble parfois étriquée jusqu’à ce qu’on distingue ce qu’elle montre le mieux : la permanence et la solidité en apparence inusable d’un système de valeurs.

Ruth Bader Ginsburg dans « RBG », documentaire américain de Julie Cohen et Betsy West. / L’ATELIER DISTRIBUTION

RBG est à la fois le reflet et une particule du flux d’informations et d’illusions qui alimente et désarticule le débat. Le titre est emprunté au surnom affectueux et ironique que ses jeunes admirateurs ont donné à Ruth Bader Ginsburg : « Notorious RBG », pour conférer à l’aïeule juriste la force de frappe d’un rappeur.

Le film de Julie Cohen et Betsy West respecte pour l’essentiel la chronologie d’une biographie, de la naissance de Ruth Bader Ginsburg dans une famille d’immigrés juifs de Brooklyn à sa gloire présente, en passant par son travail juridique pour l’égalité entre genres et sa nomination à la Cour suprême par Bill Clinton. Pas plus que d’autres qui parsèment cette vie passionnante, cette ironie – la nomination d’une féministe par un homme souvent accusé de prédation sexuelle – n’est relevée par les réalisatrices, toutes occupées à démontrer la perfection politique et morale de leur modèle.

Le penchant hagiographique de « RBG » n’empêche pas les informations de flotter à la surface

Ce penchant hagiographique n’empêche pas les informations de flotter à la surface : la violence de la discrimination envers les femmes au début des années 1950 (à la faculté de droit d’Harvard, le doyen recevait les rares étudiantes pour qu’elles expliquent de quel droit elles prenaient la place d’un homme), l’habileté de la stratégie mise au point par la professeure de droit devenue avocate afin de mettre à bas les lois discriminatoires…

Le fil biographique est ornementé de séquences captant les manifestations d’adulation à l’endroit de Ruth Bader Ginsburg, représentante d’une minorité « libérale » au sein de la Cour suprême – cet enthousiasme répond de manière asymétrique aux certitudes des jurés de Lindy Lou. Alors qu’elle est devenue personnage de l’émission satirique « Saturday Night Live », et qu’elle a été invitée (pour un rôle parlant) à monter sur la scène de l’opéra de Washington, l’on retrouve son effigie aussi bien sur des mugs que sur la peau de ses admirateurs. Il ne faut pas compter sur ce film, fait pour réconforter les opposants à l’occupant actuel de la Maison Blanche et à sa majorité parlementaire, pour approfondir la contradiction essentielle qu’il se contente d’énoncer : la gloire de Ruth Bader Ginsburg croît de manière inversement proportionnelle à son influence sur les affaires de son pays.

RBG - Ruth Bader Ginsburg bande-annonce VOSTFR
Durée : 02:05

Documentaire français de Florent Vassault (1 h 25). Sur le Web : jhrfilms.com/lindy-lou

Documentaire américain de Julie Cohen et Betsy West (1 h 38). Sur le Web : www.rbgmovie.com et www.facebook.com/RBGmovie