Le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa (à droite) et le premier ministre Antonio Costa, lors d’une cérémonie pour rebaptiser l’aéroport de Funchal « aéroport Cristiano-Ronaldo », le 29 mars 2017. / FRANCISCO LEONG / AFP

A 33 ans, il a déjà un aéroport à son nom, un musée et une statue à sa gloire. Si les navigateurs Zarco, Teixeira et Perestrelo ont pris possession de l’archipel en 1419 au nom du roi du Portugal Alphonse V, le 5 février 1985 est une autre date marquante de Madère : celle de la naissance de Cristiano Ronaldo dos Santos Aveiro. Ici, l’homme est un peu plus qu’un footballeur de talent et un quintuple Ballon d’or.

« Il est le Portugais le plus connu au monde, il est admiré sur tous les continents et par toutes les générations. Pour moi, c’est un honneur d’avoir pris cette décision qui représente le désir quasi unanime des habitants de Madère. » Le 28 mars, Miguel Albuquerque, président du gouvernement régional de Madère, verse dans le panégyrique au moment d’inaugurer la cérémonie officialisant l’aéroport Cristiano-Ronaldo.

Mais depuis début octobre, l’enfant du pays et ambassadeur honorifique de sa région natale est accusé de viol par l’Américaine Kathryn Mayorga pour des faits remontants au 13 juin 2009. Loin de la fake news dénoncée par le joueur dans un premier temps, le dossier – révélé par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel – a pris de l’épaisseur et nourrit d’interminables débats au Portugal.

Madère n’y échappe pas, note Rui França, journaliste pour la principale radio de l’île :

« Dans les émissions où nous donnons la parole aux auditeurs, au début, nous avions surtout des personnes qui disaient qu’il s’agissait d’une vieille affaire, que Kathryn Mayorga était surtout intéressée par l’argent de Ronaldo. Depuis quelques jours, je note un changement. On commence à dire : “attention, il s’agit d’une affaire sérieuse, une enquête existe, il faut voir comment cela évolue. Les Madériens sont un peu dans l’expectative. »

Soutien sans faille

Miguel Albuquerque n’a pas été gagné par cette prudence. Le 6 octobre, il affiche son soutien sans faille à celui qu’il considère comme un « ami ». Le dirigeant déclare au quotidien Jornal da Madeira : « Ronaldo est un grand Portugais qui fait l’honneur de Madère. » Et d’ajouter au sujet de la plaignante : « Les gens savent que tout ceci est l’opportunité pour une gonzesse de lui soutirer de l’argent. »

Le même jour, le premier ministre (socialiste) portugais, Antonio Costa, profitait d’une cérémonie pour fêter les 20 ans de l’attribution du prix Nobel de littérature à José Saramago pour défendre le capitaine de la Seleçao. « Cristiano Ronaldo a montré qu’il était un sportif et un footballeur extraordinaire qui fait la fierté du Portugal. Il ne suffit pas que quelqu’un soit accusé d’une chose pour qu’il soit considéré comme coupable. »

La veille, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa (classé à droite), se retranchait derrière le principe de présomption d’innocence, tout en disant qu’il n’oubliait pas « le rôle joué pour notre pays » par Ronaldo.

Des réactions « pathétiques pour coller à l’opinion publique majoritaire, déplore Joao Miguel Tavares, chroniqueur pour le journal Publico et TVI, première chaîne privée du pays. Les Portugais vont dire que le mouvement #metoo est nécessaire, mais il ne faut surtout pas qu’il vienne embêter notre gentil petit garçon de Madère. »

« Au fond d’eux-mêmes, les Portugais ne veulent pas croire à cette histoire, relève Rui França. Sans doute un peu plus ici. Quand ils rencontraient des périodes difficiles en sélection, Ronaldo était critiqué sur le continent, mais jamais à Madère. »

Le clan Ronaldo à la rescousse

Alors, en attendant les suites pénales de l’affaire Mayorga, la vie continue à Funchal où les touristes enchaînent toujours les selfies devant la statue représentant un Cristiano Ronaldo tout en muscles contractés dans son iconique célébration post-but.

Le musée CR7 est juste en face, au rez-de-chaussée de l’hôtel de luxe du même nom et dont la ligne brute et massive témoigne d’un modernisme échappé des années 1970. A l’intérieur, l’établissement témoigne surtout du goût du joueur pour l’accumulation de trophées.

En décembre 2014, lors de l’inauguration de la statue à son effigie, à Funchal, sa ville natale. / GREGORIO CUNHA / AFP

Jorge, venu de Porto pour une semaine de vacances, écrit un mot de circonstance sur le livre d’or : « Courage champion, tu es plus fort que toutes ces polémiques, tu resteras un vainqueur. » Lui n’a pas encore changé sa photo de profil sur les réseaux sociaux.

Le 8 octobre, Katia Aveiro, chanteuse et surtout « sœur de », a lancé un appel sur Instragram. « Je veux voir qui aura le courage d’afficher cette photo sur son profil pendant cette semaine et lancer le mouvement pour lui. Pour le Portugal, pour nous, pour tout le peuple, pour la justice. Il le mérite. » La photo en question est un montage de son frère en Superman.

« Sa famille forme un vrai clan ici, affirme Rui França. Lui est toujours venu en aide à ses sœurs et son frère lorsque celui-ci avait des problèmes de drogue. Et dès qu’on s’attaque à Cristiano, la famille se mobilise très vite pour défendre le petit dernier. »

Hugo, l’aîné et toxicomane repenti, est le dernier du clan à avoir ses habitudes à Santo Antonio, quartier populaire perché sur les hauteurs de Funchal où l’automobiliste doit user de la première pour y grimper. Ce jour-là, Le Monde ne fera que croiser Hugo au volant de sa berline jaune et de marque française.

« Cette histoire nous dépasse »

Peut-être revenait-il du Quinta Falcao, dont il est un client régulier. Ce café tire son nom de la rue qui a vu grandir l’enfant prodige de Madère. Jusqu’à récemment, l’établissement était tenu son ami d’enfance, Nelson Rebolo, toujours bavard pour raconter les premiers pas de son fameux voisin.

Les clients du jour sont moins prolixes. « Moi, la vie de Ronaldo ne me concerne pas, je sais juste qu’on en fait trop sur cette affaire », souffle Dinis avant d’entamer une partie sur un billard où Ronaldo exercerait encore ses talents lorsqu’il passe en coup de vent dans le quartier.

Entre deux Impérial (l’équivalent du demi de bière au Portugal), Joao préfère de pas en dire plus sur l’accusatrice « pour rester poli », mais précise : « Si elle n’était pas américaine, on n’en parlerait pas autant. »

A quelques hectomètres de là, les joueurs d’Andorinha débutent leur entraînement. A l’entrée, un portrait d’un Cristiano âgé de 8 ans accueille les visiteurs. Le futur attaquant de la Juventus a marqué ici ses premiers buts dans cette équipe qui avait davantage l’habitude d’en encaisser que d’en marquer.

Mais à l’heure de commenter l’affaire en cours, les mots sont rares. « Je suis désolé, mais le président a donné la consigne de ne rien dire sur le sujet », prévient Ricardo Santos, le coordinateur sportif. Coéquipier de Ronaldo entre 8 et 10 ans, Santos a déjà raconté dans plusieurs interviews ses histoires sur son copain « capable de pleurer quand on ne lui donnait pas le ballon » et toujours couvé du regard par son père, Dinis, décédé en 2005.

« Je peux vous parler de cette époque-là, mais tout ça nous dépasse, souffle le trentenaire avant de remonter dans sa voiture. Vous savez, on est juste un petit club de quartier. »

Le Real dément toute pression

Le Real Madrid, l’ancien club de Cristiano Ronaldo, a annoncé, jeudi 11 octobre, qu’il porte plainte contre le quotidien portugais Correio da Manhã, selon qui une des lignes de défense du footballeur pourrait consister à alléguer des pressions du club madrilène, qui venait de le recruter (le 11 juin 2009), pour justifier avoir passé un accord de confidentialité avec son accusatrice de viol. « Information entièrement fausse », a réagi le Real, ajoutant n’avoir « connaissance d’aucun fait qui se réfère à ce que dit ce journal ». « L’information a été correctement vérifiée », a réagi le directeur du journal.

Par ailleurs, l’un des avocats de Ronaldo, faisant référence à des piratages de données survenus en 2015, a affirmé mercredi - sans le nommer - que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a publié « certains documents volés, dont une partie importante a été modifiée et/ou complètement fabriquée ». Ces documents contiennent des « déclarations supposées » de Ronaldo qui « sont de pures inventions », a-t-il ajouté. « Nous disposons de centaines de documents provenant de différentes sources. Nous n’avons aucune raison de penser que ces documents ne sont pas authentiques », a réagi Der Spiegel.