Un soldat uruguayen de la Monusco à Goma, dans l’est de la RDC, en avril 2016. / PABLO PORCIUNCULA/AFP

En République démocratique du Congo (RDC), le sigle « UN » fait partie du décor. Sur les aéronefs, sur les véhicules tout-terrain, sur les camions blindés qui circulent dans les villes et villages, il est partout. Omniprésent, mais pas toujours synonyme d’efficacité. Dans l’est du pays, où des massacres ont été commis à quelques centaines de mètres de bases de la Monusco, la mission des Nations unies en RDC, les habitants ont pris l’habitude de comparer les casques bleus à des « touristes » et de pointer leur incapacité à neutraliser la centaine de milices qui sèment toujours la terreur dans la région.

La protection des civils est pourtant la priorité fixée par le Conseil de sécurité. La Monusco dispose même, depuis mars 2013, d’une force militaire offensive censée affronter les groupes armés de l’est du pays. Faute de résultats, la mission la plus ancienne et la plus chère de l’histoire de l’ONU (créée en 1999, elle coûte un peu plus d’un milliard de dollars par an, soit plus de 860 millions d’euros) s’est discréditée auprès de la population et du gouvernement, qui réclame son départ d’ici à 2020.

« Des résultats largement mitigés »

Le président Joseph Kabila l’a rappelé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre, pointant des « résultats largement mitigés sur le plan opérationnel ». Le chef de l’Etat a réitéré sa position face aux membres du Conseil de sécurité venus à Kinshasa deux semaines plus tard. Lorsque les échanges ont porté sur l’organisation des élections prévues le 23 décembre et intégralement financées par le pays, le président congolais, dont le dernier mandat s’est achevé il y a deux ans, a réagi : « Vous nous suppliez de mendier le soutien de l’ONU », mais, sauf « cas de force majeure », il n’en sera rien.

Le gouvernement a donc décliné l’appui logistique de la Monusco, tenue à l’écart et du même coup privée d’informations et de véritable capacité d’observation. Son mandat, renouvelé en mars, insiste pourtant sur l’appui au processus électoral en vue de scrutins crédibles « dans les délais annoncés ». Mais la mission onusienne a échoué à mener à bien le dialogue entre le pouvoir et l’opposition, dont s’est finalement chargée l’Eglise catholique congolaise.

Les élections, censées permettre la première alternance politique de l’histoire du pays, se feront donc sans l’intervention de la mission onusienne. Elle se contente aujourd’hui de quelques techniciens dépêchés auprès de la Commission électorale nationale indépendante, qui prend soin de ne pas leur donner accès aux données stratégiques. « Cette décision du gouvernement puise sa source dans l’expérience de 2011 : la Monusco avait retiré son appui logistique et technique à la veille des scrutins », précise André-Alain Atundu, porte-parole de la Majorité présidentielle, qui se demande aujourd’hui « à quoi elle sert ».

Menaces, suspicions, pressions

Les tensions entre la Monusco et le gouvernement sont anciennes et fréquemment ravivées par les rapports du Bureau conjoint des droits de l’homme de l’ONU, qui dénonce les violations commises par les forces de sécurité du régime. Dès 2010, Kinshasa a souhaité le retrait de la mission, invoquant sa souveraineté.

La seule fois où les deux acteurs se sont entendus, ce fut deux ans plus tard. L’armée congolaise et les casques bleus avaient uni leurs forces contre les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) qui s’étaient emparés de Goma, à la frontière avec le Rwanda. Par la suite, l’ONU avait souhaité poursuivre cette alliance pour terrasser les miliciens hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui sévissent dans l’est de la RDC. Mais la coopération avait volé en éclats après la nomination de deux généraux congolais accusés par l’ONU de violations des droits humains. Les FDLR sont toujours en activité.

« La Monusco va quitter la RDC graduellement », avait déclaré, début 2014, son chef d’alors, Martin Kobler. Des stratégies de retrait avaient été élaborées, qui achoppèrent, entre autres, sur des divergences d’analyse sécuritaire. Depuis, la relation est émaillée de menaces, de suspicions et de pressions. La méfiance du gouvernement à l’égard de cette mission perçue comme un instrument d’ingérence, de surcroît gênante lorsqu’elle dénonce les répressions du régime, affaiblit encore un peu plus sa capacité d’action. Kinshasa a ainsi multiplié les stratagèmes pour la neutraliser, allant jusqu’à bloquer la livraison d’armes aux bataillons de casques bleus (16 000 militaires) et à entraver le travail de ses enquêteurs.

« On est devenu trop encombrant, estime un cadre de la Monusco. Sur le plan sécuritaire comme sur la question des droits humains, le gouvernement nous bloque. La mission a atteint ses limites et seuls les Congolais peuvent résoudre leurs problèmes. » Les casques bleus n’ont su intervenir efficacement et empêcher les massacres ni lors de la crise survenue au Kasaï (centre) en avril 2016, ni dans celle qui sévit dans la province du Tanganyika (sud-est), conjuguée au regain de violence en Ituri (nord-est) fin 2017.

Vers un retrait progressif

« Il est évident que le bilan politique et sécuritaire de la Monusco est médiocre. Le gouvernement a donc de bons arguments pour réclamer son départ, qui, sur le terrain, pourrait bien ne pas changer grand-chose, constate Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Des milliards de dollars ont été dépensés mais ce n’est pas éternel, car la facture est lourde et il y a peu à peu une prise de conscience et une exigence de résultats. »

Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, les Etats membres ont signé une déclaration d’engagement non contraignante visant à rendre les opérations de maintien de la paix plus efficaces. Le vice-président américain, Mike Pence, a résumé la doctrine de l’administration Trump : « Quand une mission ne parvient pas à remplir son mandat, on doit la fermer. » Les Etats-Unis, principal contributeur de ces opérations qu’ils jugent trop coûteuses, pourraient accélérer le retrait de la Monusco, à moins qu’ils ne soutiennent son maintien pour garder un levier de pression sur Joseph Kabila et son dauphin désigné, Emmanuel Ramazani Shadary.

Près de vingt ans après son déploiement, la Monusco se prépare à un retrait progressif si les élections du 23 décembre se déroulent à la date prévue, sans regain de violences significatives et si le processus est jugé « crédible », ou du moins acceptable, par les puissances régionales et les partenaires occidentaux. « On doit partir […] parce que si on reste, cela voudrait dire qu’on a échoué », a déclaré Leila Zerrougui, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en RDC. Une manière habile de présenter un éventuel retrait de la mission comme une conséquence de son succès.