Emmanuel Maurel est une espèce de plus en plus rare en politique : c’est un féru de littérature. A chaque rendez-vous avec lui, la conversation tourne d’abord sur les derniers livres lus ou ceux qui l’ont marqué. Comme en ce jour de printemps 2018 où il rejoignait des journalistes en plein 7e arrondissement de Paris. A son arrivée, il cite Antoine Blondin : « Ici, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. » C’est son péché mignon : M. Maurel aime distiller des références au long d’une discussion. Le grand public avait pu le constater le 7 mars lors du débat organisé par le Parti socialiste (PS) en partenariat avec LCI, RTL et Le Figaro, réunissant les quatre candidats (Olivier Faure, Stéphane Le Foll, Luc Carvounas et lui-même) à la tête du parti.

Ce soir-là, en quatre-vingt-dix minutes, il parvint à placer Spiderman, le poète latin Térence, Freud ou encore Orelsan. Il a également fait une allusion à Charles Maurras (1868-1952, penseur monarchiste) et une autre à Marceau Pivert (1895-1958, dirigeant socialiste de la tendance « gauche révolutionnaire » dans les années 1930). Ce mélange, très ouvert culturellement et politiquement, peut décontenancer ses interlocuteurs. Et le faire apparaître comme un rien pédant. Mais il n’en est rien. Emmanuel Maurel est plutôt d’un abord timide, pas franchement l’archétype du politique sûr de lui et dominateur.

« Socialisme décomplexé »

Son côté intellectuel, personne ne le conteste à gauche. Tous, au PS, à La France insoumise (LFI), chez les Verts ou les communistes, le reconnaissent : Emmanuel Maurel est « sympa » et « intelligent ». Avec son départ du PS, ce mélancolique, nostalgique d’un temps révolu − celui du socialisme triomphant − devra renoncer à son rêve de jeune militant : « Devenir premier secrétaire du PS. » Cela ne veut pas dire qu’il veuille renoncer à être le premier des socialistes, ailleurs cette fois, dans une « maison commune » de la gauche républicaine. Avec, à terme, l’objectif de se rapprocher de La France insoumise.

Il sait que la tâche ne sera pas facile tant LFI a de la rancœur vis-à-vis du PS. Mais M. Maurel tient sa ligne, celle d’un « socialisme décomplexé ». Il n’hésite pas à convoquer les ouvriers dans ses interventions, ni à évoquer la répartition capital-travail, les salaires, les luttes sociales et écologistes. Bref, il parle la même langue que les « insoumis ».

Emmanuel Maurel, 45 ans, fut longtemps une figure du Parti socialiste. Même sa date de naissance, le 10 mai, le rattache à l’histoire de la « vieille maison ». Il y entre en 1990 et fut longtemps le leader des jeunes « poppies » ainsi qu’étaient surnommés les jeunes partisans de Jean Poperen (1925-1997), figure de la gauche du PS. Il écrira d’ailleurs sa biographie en 2005 (Jean Poperen, une vie à gauche, L’encyclopédie du socialisme). Diplômé en lettres modernes et en histoire à Paris-I et ancien élève de Sciences-Po Paris, le jeune Maurel milite à l’UNEF-SE (proche des communistes) et au Mouvement des jeunes socialistes. Il deviendra conseiller régional d’Ile-de-France en 2004 puis vice-président de la région en 2009, chargé des affaires internationales et européennes. Sa vice-présidence couvrira à partir de 2010, l’emploi, la formation et l’alternance. En 2014 il est élu député européen dans la circonscription Ouest.

« El profesor »

Républicain, très attaché à la laïcité (il a signé en 2016 le « manifeste du Printemps républicain »), M. Maurel représente en quelque sorte l’héritage de la première gauche, descendante du marxisme et de la tradition jacobine. Un positionnement qui dénotait de plus en plus dans un Parti socialiste qui penche désormais vers le centre. Mais qui sera en adéquation avec la pensée des dirigeants de La France insoumise, pour beaucoup issus de ce courant politique.

Malgré tout, M. Maurel pointe quelques divergences avec M. Mélenchon, même s’il se fait plus discret à leurs propos depuis quelques semaines. « Je ne crois pas dans la théorie du populisme de gauche, je ne suis pas d’accord avec la substitution du clivage droite-gauche par celui peuple-élite, a-t-il souvent répété. Je suis un vrai social-démocrate, je crois aux corps intermédiaires, au rassemblement de la gauche. »

Ces derniers mois, entre ses déplacements au Parlement européen et la préparation de son départ du PS, Emmanuel Maurel s’accordait des temps de respiration. Pendant les trajets en train, il lisait. Une fois rentré chez lui, dans le Val-d’Oise, il regardait des séries. Il en est une qui l’a particulièrement marqué : La Casa de papel, une série espagnole diffusée sur Netflix. Elle raconte l’histoire d’un intellectuel, de gauche, grand lecteur et timide, surnommé « el profesor ». Il décide, avec quelques complices, de braquer scientifiquement l’Imprimerie nationale qui fabrique les billets de banque. Un bâtiment surnommé la « maison de papier ». Toute similitude avec des faits ayant cours à gauche serait, bien évidemment, fortuite.