Des copies vierges d’« An-Nahar », à Byblos, au nord de Beyrouth, le 11 octobre. / JOSEPH EID / AFP

Le journal An-Nahar a créé la stupeur à Beyrouth, en publiant, jeudi 11 octobre, une édition vierge. Les spéculations sont allées bon train, alors que plusieurs rédactions ont mis la clef sous la porte depuis 2017.

Il ne s’agit pas d’un tomber de rideau. Nayla Tuéni, la directrice de ce qui reste de l’un des principaux quotidiens libanais – même si, en plus de dix ans, son lectorat a fondu –, a mis fin aux interrogations, en motivant ce geste à la mi-journée. En paraissant vide de contenus, An-Nahar « tire le signal d’alarme » face à « l’état désastreux du pays », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse. « Nous allons continuer à imprimer notre journal en version papier, et la version électronique continuera aussi », a assuré l’arrière-petite-fille du fondateur du quotidien, qui fut l’un des plus grands titres du monde arabe.

« On a besoin d’un sursaut politique, pour que la situation économique s’améliore, pour tout le monde », souligne Rosana Bou Monsef, éditorialiste de la maison. L’appel sera-t-il entendu ? Depuis les élections législatives, en mai, la formation d’un nouveau gouvernement est restée mission impossible. Ce énième blocage survient sur fond d’inquiétudes quant à l’état des finances du pays.

Une initiative diversement appréciée

Le marasme économique est bien là. La presse, déjà en crise, en fait les frais. Des publications, en panne de publicité, naviguent à vue. Depuis plusieurs années, les licenciements se multiplient dans les médias.

A la suite de la fermeture récente du quotidien Al-Anwar, le ministre sortant de l’information, Melhem Riachi, a annoncé la préparation d’un plan de soutien au secteur. L’une des propositions est d’exempter les journaux de la TVA et d’autres taxes. Mais pour Jad Melki, spécialiste des médias à la Lebanese American University, « un plan national, alors que les médias évoluent dans un environnement globalisé, a peu de chances de réussir. Le modèle financier des journaux, qui pour bon nombre ont perdu la confiance des lecteurs, doit être repensé. »

L’initiative d’An-Nahar a été très commentée, mais diversement appréciée. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes l’ont soutenue, quand d’autres, critiques vis-à-vis de la ligne politique adoptée par le journal ces dernières années, ou de ses dérives sensationnalistes, l’ont tournée en dérision. Il fait peu de doute que la « fatigue » exprimée par la rédaction face à l’incurie de la classe politique est largement partagée dans le pays.