A l’hôpital de Lille, en avril 2013. / PHILIPPE HUGUEN / AFP

Surtout ne pas les appeler « supers infirmiers », et encore moins « infirmiers-médecins » : les futurs infirmiers en pratique avancée (IPA), dont les premières formations ont débuté en ce mois d’octobre, vont devoir se faire une place dans les équipes de soins. Sans braquer les uns ni trop empiéter sur les prérogatives des autres.

Institués par la loi santé de Marisol Touraine de 2016, ces nouveaux professionnels de santé, à mi-chemin entre les médecins et les infirmiers diplômés d’état, pourront réaliser des actes jusqu’ici dévolus aux médecins. Une dizaine de formations de grade master sont déjà accréditées ou vont l’être cette année pour les y préparer. Parmi les objectifs principaux de cette révolution : libérer du temps médical aux médecins, lutter contre les déserts médicaux, et améliorer la prise en charge des patients porteurs de pathologies chroniques, toujours plus nombreux.

Maillon manquant

Si des formations de pratique avancée existent depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, elle s’est développée plus récemment dans les pays du nord de l’Europe. Mais « l’infirmier en pratique avancée était un maillon manquant de la chaîne des professions de santé français », commente Sébastien Colson, maître de conférences en sciences infirmières, et responsable de la nouvelle formation des IPA à Aix-Marseille université (AMU). « Dans une équipe de soin, l’IPA est là pour réaliser une partie du suivi clinique de certains patients à travers des actes que lui délègue le médecin », explique-t-il. Les décrets et arrêtés parus en juillet précisent que l’IPA a le droit de réaliser certains examens (bilans sanguins, électrocardiogrammes, etc.), mais aussi de renouveler ou d’adapter les prescriptions médicales des patients dont il assure le suivi.

Le département de sciences infirmières de la faculté de médecine d’Aix-Marseille a fait figure de pionnier : son diplôme d’Etat de pratique avancée lancé il y a quelques jours est directement issu d’un master expérimental « sciences cliniques infirmières » lancé en … 2009. « Avec l’universitarisation du cursus infirmier [de grade licence depuis 2012], et les besoins croissant en professionnels de santé intermédiaires, offrir des perspectives de formation complémentaire de niveau bac+5 allait de soit. L’AMU avait un peu d’avance sur les textes législatifs… », commente Sébastien Colson.

Trois domaines d’intervention, trois ans d’ancienneté

Reste que la formation a dû être modifiée pour correspondre aux nouveaux textes, notamment concernant les spécialisations de dernière année. Car la loi prévoit pour l’instant seulement trois « domaines d’intervention » pour ces nouveaux infirmiers : les « pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en soins primaires », « l’oncologie et l’hémato-oncologie », « la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale ». Viendra s’y ajouter prochainement la psychiatrie, selon le plan santé du gouvernement annoncé fin septembre.

 Au programme des deux années d’études, qui peuvent se faire à temps plein ou en alternance selon les universités, une succession de stages, de travaux dirigés et de cours théoriques traitant sémiologie, imagerie médicale, pharmacologie, physiopathologie, études de cas cliniques et même anglais.

Cette formation est ouverte aux titulaires d’un diplôme d’infirmier, de niveau bac + 3, et est donc en théorie accessible directement en formation initiale une fois diplômé d’un IFSI (instituts de formation en soins infirmiers). Mais c’est bien la formation continue qui semble avoir été priorisée puisqu’une expérience professionnelle de trois ans est aussi requise. Ce que regrette la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), qui accueille pourtant très favorablement ce nouveau métier : « Un étudiant ayant fait sa formation d’IPA tout de suite après l’IFSI devra donc attendre trois ans pour exercer en pratique avancée ! Et encore : seulement si un poste d’IPA est ouvert dans son établissement. Ce peut être décourageant », estime ainsi Lucie Léon, étudiante en troisième année et vice-présidente de la Fnesi.

Trouver sa place dans l’équipe de soin

Le syndicat, comme l’Ordre national des infirmiers, estiment par ailleurs que les textes ne vont pas assez loin en termes d’autonomie et de compétences de ces nouveaux professionnels. Le champ d’exercice des IPA est en effet particulièrement bordé. D’abord par les textes officiels, qui décrivent par le menu chaque acte qu’ils pourront effectuer. Mais aussi parce que lors des négociations ayant abouti à l’écriture de ces textes, les médecins se sont battus pour garder la haute main sur la prise en charge du patient dans le parcours de soin. Ce sont eux qui proposeront aux patients atteints de pathologies chroniques d’être aussi suivis par un IPA.

Ce sont aussi eux qui effectueront les premières prescriptions. L’infirmier ne pouvant que les renouveler si besoin, après avoir réalisé un « entretien avec le patient » et non pas une « consultation »… Les mots ont été pesés. « Le médecin doit assurer le leadership diagnostique et thérapeutique » de l’équipe de soin, expliquait en juin le docteur François Simon, dans le bulletin de l’Ordre national des médecins dont il préside la section « exercice professionnel ».

Malgré un fort encadrement de leurs prérogatives, les futurs IPA « auront bien toute leur place dans les équipes, et sans marcher sur les pieds des autres » veut rassurer Lucie Léon, de la Fnesi. « Expert dans son domaine d’intervention et dans les soins qui vont avec, l’IPA sera complémentaire des médecins mais aussi des autres infirmiers qui sont plus généralistes, explique-t-elle. Il ne sera pas non plus là pour faire du management d’équipe, car c’est le rôle du cadre de santé ». Des équipes de soin encore souvent pressurisées par les cadences infernales, le manque de bras et les restrictions budgétaires. Les étudiants entrés en première année d’IPA en cette rentrée 2018 intégreront leur équipe en 2020.