Pierre Mignoni, lors d’un match du LOU à Agen, en octobre 2017. / THIERRY BRETON / AFP

Rendez-vous mercredi, à l’heure du goûter. Sur la table, des tranches de cake pour les joueurs du LOU, le Lyon olympique universitaire. Ce jour-là, Pierre Mignoni a délocalisé sa séance d’entraînement sur la pelouse municipale de Givors. Volonté du club de travailler à son ancrage régional. Dans les tribunes, des gamins en crampons et leurs parents.

Dimanche 14 octobre, quatre jours plus tard, et une vingtaine de kilomètres plus loin, au stade Gerland, le LOU pénétrera dans une autre dimension : il disputera le premier match de son histoire en Champions Cup, la principale Coupe d’Europe, contre les Gallois de Cardiff (à partir de 14 heures).

Mignoni, 41 ans, parle peu de lui. L’entraîneur a pourtant grandi en même temps que le LOU, et les deux peuvent se confondre : « Ce club essaie de prendre un virage important, parce qu’il en a les moyens et les ambitions, et c’est pour ça que je suis venu ici », résume-t-il après la séance du jour.

C’est à Lyon que l’ancien adjoint toulonnais a commencé sa carrière d’entraîneur principal, il y a trois ans. Ascension rapide : champion de France de Pro D2, la deuxième division, dès sa première saison (2016) ; puis maintien en Top 14, l’élite nationale (2017) ; puis, la saison passée, en mai, participation aux demi-finales du championnat de France. « C’est sûr que le regard a changé. Aujourd’hui, on nous prête un peu plus d’attention, de respect. Mais ça, ce n’est pas venu du jour au lendemain. Les joueurs l’ont gagné sur le terrain, et l’ensemble du club aussi. Avec beaucoup de travail. » Matin, après-midi et soir.

Et même très tôt le matin, témoigne Jean-Pierre Chenu, l’intendant de l’équipe, barbe aussi longue que l’expérience : « Avec les staffs précédents, c’est toujours moi qui arrivais le premier au club. Mais maintenant, c’est Pierre qui est là avant moi ! Moi, j’arrive en général à 6 h 30. Lui est déjà au boulot, à son bureau. Au début, ça surprend. Puis on s’habitue. » Laurent Hubert, l’un des kinésithérapeutes, apprécie également la compagnie de ce « gros bosseur » : « C’est lui qui ouvre et c’est lui qui ferme. Parfois je pars à 17 heures, 18 heures, 19 heures. Lui est encore là. »

« On n’est pas malheureux »

Normal, pour Pierre Mignoni : « On bosse, mais bon, on n’est pas malheureux. Je connais des gens qui travaillent beaucoup plus que ça, dans des conditions beaucoup plus difficiles. Je viens d’un monde modeste, j’ai toujours connu ça », relativise l’entraîneur, dont les parents travaillaient comme employés municipaux à la mairie de Toulon.

L’homme vient surtout du Rugby club toulonnais (RCT). Il y a construit sa carrière de demi de mêlée international, jusqu’à remporter deux Tournois des six nations avec le XV de France, en 2002 et 2007. Avant de retrouver l’institution varoise, qui règne alors sur le continent, en tant qu’entraîneur adjoint de Bernard Laporte : jamais un club n’avait remporté trois fois d’affilée la Coupe d’Europe, de 2013 à 2015, cette même compétition qu’il s’apprête désormais à faire croquer au LOU.

Tout cela pour dire que « Pierre a la science du jeu », selon le pilier Alexandre Menini, qui l’a connu dans les deux clubs. « Ces grands matchs, il les a vécus. Il sait de quoi il parle il n’est pas à côté de la plaque, loin de là. Il a eu une grande carrière de joueur. Puis, comme entraîneur des arrières à Toulon, je pense qu’il a appris de tous les grands joueurs du club. De Bernard [Laporte], aussi. »

Les Lyonnais après un essai de Thibaut Regard, le 15 septembre, contre Montpellier. / ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Aujourd’hui, Pierre Mignoni travaille loin de « Bernard », qui préside maintenant la Fédération française de rugby. Au début de l’annee, son nom circulait dans la presse pour secourir le XV de France comme adjoint occasionnel de Jacques Brunel, nommé sélectionneur après le licenciement de Guy Novès : « Je n’ai pas trop à parler là-dessus. Ce n’est pas trop un truc auquel je pense pour l’instant », élude l’intéressé, sous contrat à Lyon jusqu’en 2023.

L’instant présent le ramène plutôt, ce mercredi, devant le palais des sports Salvador-Allende. Sur la modeste pelouse de Givors, l’ancien demi de mêlée a encore un ballon en pogne tout au long de l’entraînement. Mais aussi, sous le coude, une pochette orange pleine de schémas tactiques.

Convocation matinale

Entre deux autographes à des gamins venus l’accoster parfois candidement (« C’est quoi ton prénom ? C’est quoi ton numéro ? »), Félix Lambey, reconnaissable à ses cheveux roux, estime surtout que « Pierre a amené beaucoup de rigueur au club, on a vraiment besoin d’une personne comme ça, qui connaisse le rugby. » A 24 ans, le jeune deuxième-ligne a découvert « un vrai compétiteur, qui le prend très mal quand il perd. » Exemple, lors d’une saison précédente : « Ça nous est arrivé de perdre des matchs à l’extérieur où peu d’équipes gagnent et qu’il nous convoque le lendemain à six heures du mat’. » L’horaire idéal, faut-il croire, pour une petite session d’analyse vidéo à la fraîche.

Autour de Pierre Mignoni : dix-sept membres du « staff » qui l’assistent au quotidien, et quarante-huit joueurs en concurrence, dont quinze à titulariser à chaque match. « Pierre est obsédé par le fait de gagner, mais surtout de regagner, et donc, aussi, par tout ce qui peut être mis en œuvre pour essayer de maîtriser tout le processus », insiste Gérald Gambetta, coordinateur de l’équipe et ancien joueur du club. « Il a créé mon boulot spécialement pour que quelqu’un cale tout, organise tous les déplacements, le planning, etc. »

Lui aussi ancien joueur, et désormais entraîneur des avants, Karim Ghezal se souvient de l’année en Pro D2 : « Le dimanche, quand on s’entraînait, il organisait des repas avec les femmes et les enfants des joueurs. Pierre a voulu créer quelque chose autour du club, pour que les joueurs s’en imprègnent vraiment. » Une nécessité pour ce LOU à l’histoire centenaire : ce lointain double champion de France de rugby (1932 et 1933) a longtemps vécu en retrait par rapport à l’ancienne place forte régionale, Bourgoin-Jallieu, à 50 kilomètres de là. Et surtout par rapport aux footballeurs de l’Olympique lyonnais. « Je pense que le LOU est en train de trouver sa place, on essaie encore d’aller chercher un public », considère Pierre Mignoni.

L’actuel 3e du Top 14 a déjà trouvé son actionnaire, en la personne de l’entrepreneur Yann Roubert, président du LOU depuis 2012 : avec 29,8 millions d’euros, le club affiche cette saison le cinquième budget prévisionnel – sur quatorze – du championnat de France.