La chancelière allemande Angela Merkel, le 12 octobre, à Berlin. / FABRIZIO BENSCH / REUTERS

Ce ne sont « que » des élections régionales. Mais le scrutin qui a lieu ce dimanche 14 octobre en Bavière aura nécessairement des conséquences nationales, et ce pour deux raisons. La première est chronologique. Un an après les législatives du 24 septembre 2017, c’est la première fois que des électeurs sont appelés aux urnes en Allemagne : 9,5 millions d’inscrits, soit un sixième de l’électorat du pays. En cela, le scrutin de dimanche aura valeur de test : il permettra de dire si les grandes tendances observées en 2017 – la percée sans précédent de l’extrême droite et le recul historique des conservateurs (CDU-CSU) et des sociaux-démocrates (SPD) – sont confirmées ou infirmées.

La seconde raison tient à la place singulière qu’occupe la Bavière sur la scène politique nationale. De tous les Länder, c’est le seul où l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti d’Angela Merkel, n’est pas représentée stricto sensu, mais où les conservateurs ont leur propre parti, l’Union chrétienne-sociale (CSU). Au Bundestag, les députés des deux formations siègent dans le même groupe depuis la naissance de la République fédérale, en 1949. Mais les relations entre les deux « partis frères », selon l’expression consacrée, ont été particulièrement rugueuses ces derniers mois.

En cela, l’enjeu du scrutin dépasse largement la Bavière, dans la mesure où le président de la CSU, Horst Seehofer, est également ministre fédéral de l’intérieur, alors que la présidente de la CDU, Angela Merkel, est chancelière fédérale. Pour le dire autrement, ce qui se joue dimanche à Munich intéresse directement Berlin, l’impact du scrutin bavarois sur la politique nationale dépendant de trois facteurs principaux :

  • De quelle ampleur sera le revers de la CSU ?

Depuis 1962, la CSU – cas unique en Europe – a toujours eu la majorité absolue en sièges au parlement de Bavière, sauf entre 2008 et 2013 où elle a dû former une coalition, en l’occurrence avec le Parti libéral-démocrate (FDP). Dans les derniers sondages, elle est créditée de 33 à 35 %, soit près de quinze points de moins qu’en 2013 (47,7 %), et près de dix points de moins qu’en 2008 (43,4 %).

Face à la chute continue de leur parti dans les sondages ces derniers mois, les responsables de la CSU n’ont cessé de revoir leurs ambitions à la baisse. Avant l’été, ils considéraient encore qu’un score autour de 40 % serait déshonorant. Désormais, ils estiment qu’un tel résultat serait quasiment une divine surprise. Certains veulent croire que les mauvais sondages conduiront à un sursaut de mobilisation auprès d’un électorat qui n’a jamais compté autant d’indécis. Selon une enquête de l’institut GMS publiée jeudi, 53 % des électeurs n’avaient toujours pas fait leur choix à moins d’une semaine du vote.

Une chose est en tout cas certaine : plus le score de la CSU sera bas, plus la question des responsabilités sera posée, à commencer par celle de M. Seehofer. Président du parti depuis 2008, celui-ci avait déjà été contraint d’annoncer son départ de la présidence du Land, fin 2017, après le revers de la CSU aux législatives. A l’époque, le parti avait obtenu 38,8 % des voix (10,5 points de moins qu’en 2013). Resté président du parti, M. Seehofer avait alors laissé les clés de l’exécutif régional à son rival de toujours, Markus Söder, pour devenir quelques semaines plus tard ministre fédéral de l’intérieur.

En entrant au gouvernement à Berlin, M. Seehofer pensait à l’origine aider ses amis bavarois. Son calcul était le suivant : comme ministre fédéral, il allait pouvoir tenir tête à Mme Merkel plus efficacement que comme ministre-président de Bavière, en particulier dans le domaine de la politique migratoire, afin d’imposer à la chancelière la ligne de fermeté prônée par la CSU depuis la crise des réfugiés de 2015.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Au ministère de l’intérieur, M. Seehofer s’est surtout illustré par ses coups d’éclat et ses coups de menton, donnant le sentiment de chercher avant tout la confrontation avec Mme Merkel, au risque de paralyser le travail gouvernemental. Son image en a beaucoup pâti. Fin septembre, 27 % des Allemands souhaitaient qu’il joue un rôle important à l’avenir, soit 12 points de moins qu’en juin, selon un sondage Kantar Public pour le Spiegel.

De plus en plus contesté au sein de son parti, celui que le Spiegel a baptisé « la drama queen de la CSU » pourrait être le premier à devoir rendre des comptes, dimanche soir. En théorie, M. Seehofer, âgé de 69 ans, est président du parti jusqu’au prochain congrès, prévu fin 2019. Mais pourra-t-il tenir jusque-là en cas de débâcle historique ?

  • Qui, des écologistes ou de l’extrême droite, profitera le plus de la chute de la CSU ?

Aux législatives de 2017, le recul de la CSU avait essentiellement profité au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui, avec 12,7 %, avait réalisé en Bavière son meilleur score de toute l’ex-Allemagne de l’Ouest. « Nous avons délaissé notre flanc droit et il nous appartient à présent de combler le vide avec des positions tranchées », avait réagi à l’époque M. Seehofer.

Un an plus tard, cette stratégie sera-t-elle payante ? Pour en juger, deux scores seront à observer, dimanche : d’abord celui de l’AfD, afin de mesurer si la droitisation de la CSU assumée par M. Seehofer a effectivement permis de ramener dans le giron du parti les électeurs ayant voté pour l’extrême droite en 2017. Sur ce point, les sondages sont ambivalents, l’AfD oscillant, selon les instituts, de 10 à 14 % des voix.

L’autre résultat à regarder de près sera celui des écologistes. Dans les sondages, ceux-ci sont crédités de 19 % des voix, soit 9 points de plus qu’aux législatives. Or ces dernières semaines, beaucoup d’électeurs conservateurs ont expliqué qu’ils voteraient pour les Verts précisément parce qu’ils refusent de cautionner la ligne ultra-droitière de M. Seehofer.

S’il s’avère que la CSU n’a non seulement pas réussi à endiguer l’AfD mais qu’elle a de surcroît perdu un très grand nombre d’électeurs au profit des Verts, les conséquences pour Mme Merkel pourraient être moins graves que prévu. Certes, la chancelière n’a aucun intérêt à voir la CSU trop affaiblie. Mais pour elle, mieux vaut une CSU sanctionnée pour sa stratégie de « droitisation » que l’inverse. Si ce sont surtout des électeurs modérés que la CSU a perdus, dimanche, il est en effet probable que les dirigeants du parti se réorientent vers une ligne plus centriste et rassembleuse, donc plus en phase avec celle de la CDU de Mme Merkel.

  • Quid du SPD ?

La Bavière n’a jamais été un bastion social-démocrate. Aux législatives de 2017, le SPD y a obtenu 15,3 % des voix, soit 5 points de moins que son score national. Selon les sondages, il pourrait ne recueillir, dimanche, que 10 à 12 % des voix.

Autant que son score, c’est cependant son ordre d’arrivée qui sera regardé de près : aujourd’hui, le SPD est la deuxième force du parlement régional. S’il passe non seulement derrière les Verts mais aussi derrière l’AfD, l’humiliation sera totale.

Anticipant une débâcle, le SPD a fait savoir, avant même le scrutin, qu’aucune soirée électorale ne serait organisée, dimanche soir, à la Willy-Brandt-Haus, le siège national du parti, à Berlin, comme c’est le cas d’habitude.

Alors que les sociaux-démocrates ne sont crédités que de 15 à 20 % dans les intentions de vote nationales, une déroute en Bavière risque de rouvrir le débat, lancinant depuis la constitution du gouvernement, en mars, sur l’intérêt qu’a le parti à continuer à participer à la « grande coalition » de Mme Merkel et de ses amis conservateurs.

Sentant le vent de la fronde souffler de plus en plus, Andrea Nahles, la présidente du parti, a pris les devants en adoptant, dans une interview accordée à Die Zeit, jeudi 11 octobre, un ton inhabituellement sévère vis-à-vis de Mme Merkel. « Il n’a pas été possible, jusque-là, de faire en sorte que le travail de cette coalition se déroule sereinement. Et là-dedans, la cheffe du gouvernement a bien sûr sa part de responsabilité. Mme Merkel est présidente de la CDU. Elle est chancelière. Elle peut imposer son autorité à ses ministres. Elle a donc plein de cartes en mains pour faire en sorte que ce gouvernement soit stable. Or elle ne s’en sert pas. »

Un SPD sévèrement sanctionné en Bavière pourrait inciter les opposants à la « grande coalition » à faire entendre davantage leur voix à Berlin. Quoi qu’il en soit, Mme Merkel n’a aucun intérêt à voir les sociaux-démocrates trop fragilisés. Si la CSU et le SPD, avec lesquels elle gouverne, sont en chute libre, dimanche, c’est l’assise politique de son gouvernement tout entier qui s’en trouvera rétrécie, et, partant, son autorité à elle qui sera directement atteinte, après six mois seulement d’un quatrième mandat déjà fort laborieux.