Sur le tarmac de l’aéroport de Banjul, départ en exil de l’autocrate gambien Yahya Jammeh le 21 janvier 2017. / Thierry Gouegnon / REUTERS

Plus de vingt mois après le départ en exil de l’ex-président Yahya Jammeh, la Gambie lance lundi 15 octobre une commission pour faire la lumière sur les violations des droits de l’homme commises sous son régime. Mais un éventuel jugement de l’ancien militaire, qui a régné sans partage pendant vingt-deux ans sur ce petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest, paraît encore chimérique.

Les onze membres de la Commission Vérité, réconciliation et réparations (Truth, Reconciliation and Reparations Commission, TRRC), lancée en 2017 par son successeur Adama Barrow, doivent prêter serment lundi, a annoncé le ministre de la justice, Abubacarr Tambadou. Les audiences publiques de la commission commenceront rapidement après la cérémonie, a assuré le ministre.

Présidée par un ancien diplomate auprès des Nations unies, Lamin Sise, elle comprend quatre femmes, dont la vice-présidente, Adelaide Sosseh, et représente l’ensemble des communautés ethniques et religieuses du pays. Instituée par une loi adoptée en décembre 2017, la TRRC dispose de pouvoirs d’enquête et pourra, au terme de ses travaux, recommander des poursuites ou des réparations.

Torture, exécutions extrajudiciaires

« Poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme administre aux autres la leçon que ni le temps ni la distance ne peuvent empêcher la justice de prévaloir », a déclaré à l’AFP un militant des droits de l’homme, Madi Jobarteh. « La justice apporte une consolation et un soulagement aux victimes, même si elle ne peut entièrement leur rendre les droits, la dignité ou les biens qu’ils ont perdus, ni alléger leur souffrance », a-t-il reconnu.

Ancien militaire parvenu au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en 1994, Yahya Jammeh s’était fait largement élire et réélire sans interruption jusqu’à sa défaite en décembre 2016 face à Adama Barrow, candidat de l’opposition.

Après six semaines d’une crise à rebondissements provoquée par son refus de céder le pouvoir, il a finalement quitté le pays le 21 janvier 2017 pour la Guinée équatoriale, à la suite d’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et d’une ultime médiation guinéo-mauritanienne.

Les défenseurs des droits de l’homme accusaient le régime Jammeh d’actes systématiques de torture contre des opposants et des journalistes, d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires et de disparitions forcées. Ancien correspondant de la BBC à Banjul, Lamin Cham a raconté à l’AFP comment il a été arrêté en juin 2006 et torturé par des gardes du corps du président gambien au siège de la défunte Agence nationale de renseignement (NIA), considérée comme l’instrument de répression du régime. « Ils m’ont demandé pourquoi je travaillais pour un média étranger en particulier et pourquoi je citais le nom de Yahya Jammeh dans mes articles », a-t-il expliqué.

« Gérer les attentes des victimes »

D’autres ont connu un sort encore moins enviable, comme le journaliste Deyda Hydara, cofondateur du journal privé The Point et correspondant de l’Agence France-Presse, assassiné par balles en décembre 2004, ou l’opposant Solo Sandeng, mort en détention en avril 2016. Il y a un an, des ONG et des associations de victimes, dont la fille de Solo Sandeng et le fils de Deyda Hydara, ont lancé la campagne internationale Jammeh2Justice, pour que l’ex-président réponde de ses actes, tout en prévenant que ce serait une entreprise de longue haleine.

Interrogé en janvier, à l’occasion du premier anniversaire de son accession au pouvoir, sur une éventuelle demande d’extradition de Yahya Jammeh, Adama Barrow a indiqué qu’il attendrait la fin des travaux de la TRRC pour prendre une décision à cet égard, mais a assuré de son engagement en faveur de « l’Etat de droit ». La sécurité du pays est toujours assurée par la force de la Cédéao, sous commandement sénégalais, dont le mandat a été prolongé à plusieurs reprises.

Une responsable d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest, Marta Colomer, a salué l’installation de la TRRC, mais a souligné la nécessité de « gérer les attentes des victimes », dont certaines risquent de dépasser les compétences de la commission. De plus, « collecter et compiler toutes les informations et les preuves des violations des droits de l’homme sera un défi », a-t-elle prévenu.

L’actuel procès d’anciens agents de la NIA, officiellement ouvert en mars 2017 mais régulièrement ajourné et parfois troublé par des rixes entre proches des accusés et des victimes, pourrait également augurer des difficultés qui attendent la commission.