Le premier ministre, Edouard Philippe, lors de la passation des pouvoirs avec Christophe Castaner au ministère de l’intérieur, mardi 16 octobre. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Emmanuel Macron a fait connaître par communiqué, mardi 16 octobre au matin, la composition du nouveau gouvernement mené par Edouard Philippe. Après deux semaines de négociations et d’hésitations depuis la démission de Gérard Collomb, le 3 octobre, le président de la république souhaitait avec ce remaniement donner un second souffle politique à son quinquennat. Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde, a répondu aux questions des internautes sur les conséquences politiques de ce changement d’équipe ministérielle.

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Boris : Des tensions entre Edouard Philippe et Emmanuel Macron ont été évoquées. Quel est celui qui a obtenu gain de cause dans ce remaniement ?

Le président de la République est resté maître du jeu du début à la fin. On l’a senti, mardi, lorsque son premier ministre est venu lui proposer une première liste et que le chef de l’Etat l’a refusée. Mais dans les équilibres qui ont été dévoilés aujourd’hui, on sent que l’Elysée a été très soucieux de sauver la face de son premier ministre.

Des personnalités de gauche font leur entrée (Didier Guillaume à l’agriculture, Gabriel Attal, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’éducation nationale), mais on compte aussi des personnalités du centre droit (Franck Riester à la culture, Marc Fesneau aux relations avec le Parlement). La République en marche n’est pas oubliée avec l’entrée de la députée Christelle Dubos, qui va venir épauler la ministre de la santé, Agnès Buzyn.

On a donc un remaniement facialement assez important. On compte quatre partants (Jacques Mézard, Françoise Nyssen, Stéphane Travert et Delphine Gény-Stephann), huit nouveaux entrants dont trois ministres. On dénombre aussi sept changements d’affectation avec par exemple la promotion de Jean-Michel Blanquer, qui obtient la jeunesse en plus de l’éducation nationale, ou encore celle de Marlène Schiappa, qui se voit attribuer la lutte contre les discriminations en plus de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin la société civile, qui était l’ADN du macronisme, n’est pas oubliée. Parmi les nouveaux secrétaires d’Etat, deux viennent du monde de l’entreprise (Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher) ou un de la haute fonction publique (Laurent Nuñez).

Tout ce cocktail, très subtil, montre que M. Macron n’a pas voulu varier de son positionnement de départ. Il ne penche ni à gauche ni à droite. Il veut toujours incarner le « en même temps ».

André : Edouard Philippe a-t-il réussi à placer certains de ses proches au gouvernement ?

Edouard Philippe a obtenu gain de cause s’agissant du renouvellement de ce qu’il appelait « les ministres en difficulté ». Au moment du départ de Nicolas Hulot, le premier ministre avait plaidé pour que le remaniement soit plus important car il sentait de vraies faiblesses d’investissement chez certains. C’était notamment le cas de Françoise Nyssen à la culture, qui n’est jamais parvenue à réellement s’imposer. A l’époque, Edouard Philippe sentait aussi qu’il y avait des difficultés du côté de Gérard Collomb, qui regardait de plus en plus du côté de Lyon et de moins en moins du côté de son ministère.

Emmanuel Macron, lui, avait refusé le grand chambardement avec l’idée que ce n’était pas le moment, qu’il valait mieux remettre le gouvernement à l’état de combat après les élections européennes de mai et avant les municipales de 2020. Cette fois, le président de la République a compris qu’il y avait de vraies faiblesses dans le gouvernement et qu’il avait intérêt à constituer une équipe plus cohérente.

Mais sur un point, Edouard Philippe n’a pas obtenu satisfaction. Comme beaucoup d’autres ministres issus de la droite, il plaidait pour une personnalité emblématique au ministère de l’intérieur. C’est pourquoi on a beaucoup parlé d’un tandem Darmanin-Péchenard. Là, Emmanuel Macron a dit non. Car Frédéric Péchenard est un ancien proche de Nicolas Sarkozy et cela pouvait apparaître comme une sorte de mise sous tutelle.

Ensuite parce que faire vivre le macronisme suppose de maintenir un équilibre droite-gauche, donc éviter le tournant sécuritaire qui avait marqué notamment la fin de quinquennat de Nicolas Sarkozy. Pour le chef de l’Etat, il faut continuer de marcher sur les deux jambes, essayer de fidéliser le centre droit et le centre gauche. C’est une des conditions sine qua non de la bataille qu’il a théorisée entre les progressistes et les conservateurs. Il a donc préféré nommer Christophe Castaner place Beauvau. Un homme issu du Parti socialiste mais qui n’incarne pas vraiment la sécurité, au sens d’un Manuel Valls, qui était parfaitement à l’aise dans ces habits. Le risque pour le chef de l’Etat c’est de se trouver en faiblesse sur le régalien. C’est pour cela que M. Castaner va être épaulé par Laurent Nuñez, l’ancien patron du renseignement intérieur. Il va être chargé de coordonner la police, la gendarmerie et le renseignement.

Pierre : On a beaucoup dit que ce nouveau gouvernement pourrait marquer un virage plus social. En voyez-vous un signe dans ces nominations, y compris dans les secrétariats d’Etat ?

Le signe le plus manifeste est la volonté d’Emmanuel Macron de retisser le dialogue avec les collectivités locales. Il avait déjà formulé ce souhait en juillet lors de son discours devant le Congrès, où il avait appelé les élus à construire avec lui ce qu’il appelait « la République contractuelle ». Cela a été un échec flagrant parce que les collectivités locales ont l’impression que le chef de l’Etat ne connaît pas bien leurs préoccupations et qu’il n’en fait qu’à sa tête.

Le dernier exemple en date, c’est toute la polémique autour de la taxe d’habitation. Le gouvernement a décidé de la supprimer d’ici la fin du quinquennat mais entre-temps les maires qui se plaignent de la réduction de leur dotation augmentent les taux. Du coup chacun se renvoie la balle, et le contribuable n’y comprend rien.

Quant au virage social dont vous parlez, il n’apparaît pas lisiblement à travers le remaniement. On voit bien que la ministre de la santé, Agnès Buzyn, va être désormais épaulée par une secrétaire d’Etat, Christelle Dubos, députée de La République en marche, mais on ne sait pas encore quelle sera son affectation exacte.

Beaucoup, parmi les proches du chef de l’Etat, à commencer par Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, plaidaient pourtant pour « un nouvel élan ». Ce dernier expliquait qu’après avoir beaucoup libéré le gouvernement devait à présent « protéger et unir ». M. Ferrand tablait sur une déclaration de politique générale du premier ministre pour que cette nouvelle étape soit actée. M. Macron n’a pas opté pour cette solution.

Il préfère insister sur la continuité de sa politique, mettre en avant la logique d’ensemble : libérer pour mieux protéger mais avec le risque de ne pas parvenir à convaincre, car ce dont on parle beaucoup en ce moment c’est de l’inégalité de la politique fiscale, qui a avantagé les 1 % des contribuables les plus riches et désavantagé les 20 % de ménages les plus modestes, selon une étude récente de l’Institut des politiques publiques. Un argument qui va faire florès pendant la campagne des élections européennes.

Sylvain : La réaction évidente des Français intéressés par la politique ne sera-t-elle pas « Tout ça pour ça ! » ?

C’est une bonne conclusion, « tout ça pour ça ». Car fondamentalement la donne n’a pas changé pour Emmanuel Macron. Il souffre depuis la rentrée d’une panne de résultats : beaucoup de réformes ont été engagées et continuent de l’être mais le chômage n’a pas substantiellement diminué. Les Français restent inquiets, à la fois sur le terrain social et sécuritaire avec la montée des incivilités. Il en résulte une chute importante de la popularité du président de la République, qui ne parvient pas à renouer le fil du dialogue avec les Français.

Il a beau multiplier les déplacements et les contacts directs, entamer une sorte de mea culpa sur ses petites phrases, il ne parvient pas à expliquer pourquoi il a entamé tous ces chantiers et à dire à quelle échéance il peut réussir. Cette panne de résultats s’accompagne d’une grande incertitude sur la scène européenne marquée par la montée en Europe centrale mais aussi en Italie et en Allemagne du populisme ou de l’extrême droite.

Sur la scène européenne comme sur la scène française, le président de la République apparaît isolé, donc vulnérable. Cela veut dire que le remaniement, même s’il permet de colmater certaines brèches, ne dispensera pas M. Macron d’une explication avec les Français, faute de quoi les élections européennes de mai s’annoncent pour lui à hauts risques.