Photo de Kuo Pei-hung, le chef de l’Alliance Formose, le 28 septembre 2018 / SAM YEH / AFP

Les indépendantistes taïwanais descendront dans les rues de Taipei samedi 20 octobre pour une grande manifestation qui servira de test à la popularité de leur message. C’est la première fois qu’un rassemblement à grande échelle est prévu à Taipei pour appeler à l’indépendance formelle de Taïwan, que la Chine communiste estime faire partie de son territoire.

L’initiative du rassemblement, annoncé en septembre, vient de l’Alliance Formose (Formosa Alliance), un groupe créé par l’ancien militant pour la démocratie Kuo Pei-hung, aujourd’hui PDG d’une des principales télévisions privées de Taïwan. L’Alliance Formose est parrainée par les anciens présidents taïwanais Lee Teng-hui (1988-2000), le père de la démocratie taïwanaise, et Chen Shui-bian (2000-2008). « C’est à chaque Taïwanais de décider de l’avenir de Taïwan. C’est une décision qui revient aux 23,5 millions de Taïwanais, et non à la Chine ou à Xi Jinping », a déclaré M. Kuo en amont du rassemblement

La manifestation du 20 octobre est destinée à accroître la pression sur la présidente Tsai Ing-wen et sur son parti, le Parti démocrate progressiste (DPP), au pouvoir depuis 2016. Dénoncés par Pékin comme « indépendantiste », Mme Tsai et son gouvernement n’en sont pas moins astreints à la realpolitik du « statu quo » (ni indépendance ni réunification avec la Chine) malgré les mesures d’intimidation permanentes déployées par Pékin. Le DPP est régulièrement aiguillonné par la fraction plus indépendantiste de son électorat, mais il doit s’efforcer de ne pas s’aliéner ceux que désavantagent économiquement les tensions avec la Chine.

Le raisonnement des organisateurs de la Formosa Alliance est que l’offensive tous azimuts lancée par Donald Trump contre la Chine représente pour Taïwan une « occasion historique » de déclarer formellement son indépendance, nous avait expliqué en juin à Taipei son fondateur, Kuo Pei-hung : le soutien des Etats-Unis, mais aussi du Japon, dissuadera la Chine de se lancer dans une aventure militaire périlleuse, et poussera pour une « normalisation » du statut de Taïwan et de son nom — par exemple, comme République de Taïwan. La République de Chine, l’actuel nom officiel de Taïwan, hérité du régime qui gouverna la Chine continentale de la Révolution de 1911 jusqu’à l’arrivée des communistes, en 1949, n’est pas reconnue par les Nations unies. En outre, elle n’a plus que dix-sept alliés diplomatiques dans le monde à la suite de la défection, en août, du Salvador.

Une dizaine de référendums d’initiative populaire

Le rassemblement du 20 octobre vise à mobiliser le public à l’approche des élections municipales du 24 novembre et de la dizaine de référendums d’initiative populaire qui leur seront associés depuis l’aménagement par le DPP des lois sur la démocratie consultative. L’un d’entre eux doit d’ailleurs interroger les électeurs sur le choix de « Taïwan » pour l’équipe nationale aux prochains Jeux olympiques de Tokyo de 2020 au lieu de « Taipei chinois », l’appellation imposée par la Chine au Comité olympique — un scrutin dont le résultat doit lui servir aussi de test du sentiment pro-indépendance à Taïwan. L’Alliance Formose n’a pu soumettre de référendum sur l’indépendance — compte tenu des limites imposées par la loi sur les questions relatives à la Constitution et au territoire de la République de Chine en raison de l’ambiguïté des formulations existantes.

Mais elle espère convaincre le DPP, qui détient depuis les élections de 2016 la majorité absolue au Parlement, d’évoluer sur la question en 2019, puisque le parti devra alors se préparer aux élections présidentielle et législatives de 2020. Kuo Pei-hung souhaiterait pouvoir organiser un référendum sur l’indépendance le 7 avril 2019, pour les trente ans de l’immolation par le feu de Deng Nan-jung, un éditeur mort en martyr au nom de la liberté d’expression sous la dictature. Les organisateurs disent attendre samedi 100 000 personnes dans les rues de la capitale. Un chiffre « à prendre avec des pincettes », nous dit de Taipei un observateur étranger de la politique taïwanaise. « Ils ne se sont pas bien débrouillés pour déclarer la manifestation à temps et n’ont finalement obtenu qu’une portion réduite de l’avenue Ketagalan [en face du palais présidentiel]. D’autres manifestations sont prévues le même jour et leurs organisateurs l’ont fait avant eux. Mais s’ils sont plusieurs dizaines de milliers, ce sera un beau résultat, qui pourrait alarmer le DPP en vue des élections locales du 24 novembre ».