Affiche de campagne du Parti démocratique de Côte d’Ivoire d’Henri Konan Bédié pour les élections locoles et régionales du 13 octobre 2018. / SIA KAMBOU/AFP

« Si on vous explique la politique ivoirienne et que vous comprenez, c’est que l’on vous l’a mal expliquée », disent souvent les Ivoiriens, paraphrasant un célèbre économiste américain. Une formule qui pourrait aisément s’appliquer à l’échiquier politique ivoirien au sortir des scrutins locaux qui se sont déroulés le 13 octobre.

Arithmétiquement, les résultats sont clairs. La coalition au pouvoir, portée par le Rassemblement des républicains (RDR) du président Alassane Ouattara, l’emporte face à son ancien membre, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié. Et largement : 92 mairies raflées sur 201 par la coalition au pouvoir (46 % des voix) contre 50 mairies pour le PDCI (25 % des voix) et 18 régions sur 31.

« Draguer les indépendants »

« Nous sommes aujourd’hui la seule formation politique à avoir une réelle assise nationale, là où le PDCI ne concourrait que sur la moitié du territoire et où le Front populaire ivoirien [FPI, parti de l’ex-président Gbagbo] n’alignait que douze représentants. C’est peu pour des partis qui ont l’ambition de reconquérir le pouvoir, déclare Mamadou Touré, porte-parole du RDR et ministre de la promotion de la jeunesse et de l’emploi des jeunes. Mieux, nous avons ravi au PDCI plusieurs bastions, comme à Dimbokro ou à Bocanda (Centre), ou à Abidjan, où nous remportons sept communes sur treize, dont les plus peuplées. »

Réplique d’un ponte dudit parti, qui souhaite garder l’anonymat : « C’est dire à quel point nous nous en sortons bien, puisque nous n’avons même pas participé à 100 % de nos capacités, et que nous y sommes allés seuls, contrairement à la coalition, qui regroupe plusieurs partis. »

Chacun se sent donc confortés par sa performance. Chacun compte aussi, en coulisses, les gains de ceux arrivés seconds de ce scrutin avec 56 mairies gagnées : les indépendants. Impossible de dire pourtant s’ils feront pencher la balance d’un côté ou de l’autre, tant leur groupe est hétérogène. Certains, clairement issus du RDR ou du PDCI, rejoindront sûrement leur famille d’origine, d’autres sont proches du président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, quand d’autres encore se disent sans étiquette.

« Ces indépendants seront amenés à prendre position. Mais, pour le moment, ils n’ont aucune pression, analyse Ousmane Zina, enseignant-chercheur en science politique à l’université de Bouaké. Pour la plupart d’entre eux, ils n’ont pas d’ambitions nationales et se sont imposés grâce à leur propre ancrage local ou communautaire. Nul doute que les grands partis seront amenés à les draguer pour récupérer leur influence. Ce qui ouvre, davantage encore, le jeu politique. »

Climat tendu

Une ouverture inaugurée en août avec l’éclatement de la coalition au pouvoir et le départ du PDCI d’Henri Konan Bédié et dont les conséquences ne se sont pas fait attendre sur le terrain : contestations – toujours en cours –, déclarations xénophobes, manifestations, dégâts matériels, accusations de fraudes dans tous les camps, et même la mort de quatre personnes selon un bilan encore provisoire. Rarement, depuis la fin de la crise postélectorale de 2010-2011, le climat n’avait été aussi tendu dans le pays.

« Traditionnellement, c’est la présidentielle qui entraîne des violences, pas les élections locales, analyse Ousmane Zina. C’est un premier signal angoissant que le pouvoir devrait étudier très sérieusement avant le scrutin présidentiel de 2020. »

Les parties se rejettent la responsabilité de ces dérapages. Sans surprise, les cadres de la coalition au pouvoir, alliance de raison avec le PDCI et les Forces Nouvelles qui avait permis à Alassane Ouattara d’accéder au pouvoir en 2010, pointent ceux qui l’ont divisée, Bédié et Soro, arguant que la coalition était « gage de stabilité pour le pays ».

Pour les opposants, nouveaux et anciens, qui se sont retrouvés au Congrès extraordinaire du PDCI le 15 octobre à Daoukro (Centre), le coupable, c’est Alassane Ouattara. « Immixtion du chef de l’Etat », « braquage et tentatives d’inversions de résultats », selon Bédié ; « tentative de confiscation de tous les pouvoirs par Monsieur Ouattara », « mafia électorale », selon Pascal Affi N’Guessan, patron d’une branche du FPI ; « mascarade électorale, avec achats éhontés d’électeurs dans les rues, utilisation des moyens colossaux, y compris sécuritaires de l’Etat », pour Tehfour Koné, député et candidat indépendant malheureux à Abobo et proche de Guillaume Soro.

Point de bascule

A-t-on pour autant atteint le point de bascule ? Celui où les formations politiques majeures commenceraient à tourner le dos au RDR pour s’allier au PDCI ? Lequel a encore répété sa détermination à présenter son propre candidat en 2020.

« Pures supputations, balaie Mamadou Touré du RDR. Car la coalition n’a jamais rompu le dialogue avec quiconque. Et puis, les partis présents à Daoukro, autour du PDCI, ne pèsent pas très lourd électoralement. »

Au contraire, pour Pascal Affi N’Guessan : « Cette future alliance est incontournable. C’est à travers elle seule que le pays pourra s’en sortir et retrouver un semblant de démocratie. D’ailleurs, elle a déjà commencé dans les bases, puisque certaines listes gagnantes aux locales comportent à la fois des militants du PDCI et du FPI. »

Reste à savoir quelle sera la position de l’autre branche du FPI, la plus importante des deux, celle de l’ex-première dame, Simone Gbagbo, libérée en août. Les rencontres et déclarations respectueuses entre son camp et le PDCI se sont multipliées ces derniers temps. Poids lourd de la scène politique ivoirienne, le FPI est sorti conforté par sa stratégie de boycott des élections. L’abstention massive de son électorat a sérieusement impacté les taux de participation officiels : 36 % pour les municipales et 46 % pour les régionales.

« Tout est possible en Côte d’Ivoire, avance quant à lui Tehfour Koné. En 1995, le RDR a bien fait alliance avec le FPI, dans un Front républicain contre le PDCI, avant de s’allier à celui-ci en 2010, contre le FPI. Aujourd’hui, les acteurs sont plus nombreux, mais ils ont bien compris une chose : isolé, personne ne peut rien faire, mais unis, nous pourrons battre n’importe qui. »