Le directeur régional des finances publiques de l’île, Yann Poujol de Molliens, a été limogé, lundi 15 octobre, par un décret du président de la République. « L’homme le plus détesté de Corse », l’épithète souvent associé au patron local des services fiscaux, va rejoindre Bercy, à Paris, où il occupera un poste de chargé de mission dont les contours sont « en cours de définition », indique une source à Bercy.

Lors d’une visite en Corse, en mars, du secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics, Olivier Dussopt, Yann de Molliens aurait déclaré, selon des propos rapportés aux syndicats par des agents : « Soyez assuré, M. le ministre, que, dans le cadre du contrôle fiscal, nous ne ciblons que les Corses, pas les étrangers, ni les continentaux. » Il aurait en outre évoqué le « sentiment d’insécurité » éprouvé par les agents de contrôle.

Démentis

L’épisode avait provoqué à l’époque un certain émoi dans l’île. Ces paroles « présentent manifestement un caractère discriminatoire et ouvertement raciste », avait réagi le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, dans un courrier adressé au premier ministre, Edouard Philippe. « Ces faits, poursuivait-il, s’ils étaient avérés, seraient d’une grande gravité, et de nature à justifier des excuses publiques ainsi que la fin de la mission du directeur régional dans l’île. »

Olivier Dussopt avait pourtant publié un communiqué, peu après sa visite, dans lequel il assurait qu’« aucun des propos tenus devant [lui] n’était de nature à présenter le “caractère manifestement discriminatoire et ouvertement raciste” dont il est fait état ». Et trois fonctionnaires de la direction régionale avaient signé une déclaration publique démentant que leur directeur ait tenu les propos que les syndicalistes lui reprochent.

L’épisode a cependant pesé dans l’éviction de M. de Molliens. Sans confirmer le fameux échange en cause, une source proche du dossier assure que l’ancien directeur régional a présenté ses agents à M. Dussopt en fonction de leur origine corse ou continentale. Elle évoque également un « management déplorable et des antécédents sur des postes précédents ».

« Comportements agressifs permanents »

De fait, à partir de mars, les relations sociales sont devenues détestables à la direction régionale des finances publiques. Le syndicat FO-DGFIP, majoritaire, a refusé de travailler avec M. de Molliens. « Il n’a siégé à aucune des réunions auxquelles nous participions, indique Matthieu Caillaud, secrétaire départemental du syndicat. On demandait son départ. Nous ne pouvions plus travailler avec lui. Il a fait assez de dégâts ici en deux ans et demi, il était temps qu’il parte ». Outre l’épisode de mars, le syndicat reproche à l’ancien directeur « un nombre sans précédent de suppressions de poste et une discrimination antisyndicale ».

De son côté, le directeur régional dénonce les « comportements moralement agressifs permanents » que son équipe aurait subis de la part de certains syndicalistes. Contacté par Le Monde, M. de Molliens a refusé de s’exprimer, mais c’est FO-DGFIP elle-même qui en fait état dans un communiqué de juin consacré au directeur régional. Le texte est titré « Le toqué obscur de la Corse » et est illustré d’une photo de Dark Vador, le méchant de Star Wars. M. Caillaud conteste « totalement » les accusations de M. de Molliens : « Il a joué la victime pour s’en sortir, précise le représentant de FO. C’est juste une manœuvre. Cela a juste accentué sa chute. On ne va pas s’en plaindre. » Jean-Guy Talamoni ne s’en plaint pas non plus. « Mieux vaut tard que jamais », s’est félicité le président de l’Assemblée de Corse sur Twitter, qui demandait le départ du directeur régional depuis plusieurs mois.

La personne qui succédera à M. de Molliens, Guylaine Assouline, a été nommée dans la foulée. A priori, son profil devrait satisfaire FO-DGFIP. Elle est en effet élue du Syndicat national des cadres dirigeants des finances publiques, lui-même appartenant à FO. Matthieu Caillaud dément formellement avoir eu un rôle dans la nomination de Mme Assouline : « Ce n’est pas du tout notre rôle et on se garde bien de le faire », assure le syndicaliste, qui ajoute à propos de la nouvelle directrice : « On la connaît bien et on sait déjà qu’on ne va pas rigoler… »

Quoi qu’il en soit, le départ de M. de Molliens suscite quelques questions dans les couloirs de Bercy : « C’est tout de même bizarre de virer quelqu’un à cause de propos racistes qu’il aurait tenus, alors que ceux-ci n’ont fait l’objet d’aucune action en justice… », s’interroge un haut fonctionnaire. Sans compter que la nouvelle directrice a participé à la commission qui a statué sur le sort de M. de Molliens… « Mme Assouline est élue à la commission administrative paritaire (CAP), elle y a donc participé, précise Bercy. Mais elle n’a pas, comme il se doit, pris part au vote relatif à sa nomination, pas plus qu’à celle de Yann de Molliens. Par ailleurs, la CAP donne un avis qui ne lie en rien l’autorité de nomination, en l’occurrence le président de la République. »