La percussionniste Brenda Navarrete au festival Tempo Latino / Olivier Urbanet

Vendredi 12 octobre 2018, une jolie fin d’après-midi ensoleillée à Toulouse. Les balances s’étaient éternisées au Pavillon République. Je retrouve Brenda Navarrete dans le lobby de son hôtel. La personne en face de moi est assurément jolie. Ses cheveux rasés lui donnent un côté androgyne. Le sourire aux lèvres, la jeune femme est visiblement bien dans ses baskets. À brûle-pourpoint, je lui pose ma première question.

« C’est quoi, le monde de Brenda Navarrete ? » « Mi Mundo, c’est un album de musique du monde. Il y a différents styles dans Mi Mundo : Trova, timba, rumba, jazz, funk, pop, salsa. » « Les tambours sont au cœur de l’album, n’est-ce pas ? » « Les tambours… Bata ! », précise-t-elle. « Tout part des Bata pour s’ouvrir au monde. »

Elle a appris les Bata avec son élève

« Vous avez une formation classique. Vous n’avez pas appris à jouer des Bata au conservatoire. Où avez-vous appris ? » « À Amadeo Roldán, il y a une période qu’on appelle práctica, où vous devez enseigner à des classes primaires. Dans mon cours, il y avait un jeune garçon qui jouait dans un groupe folklorique. Les percussions classiques ne l’intéressaient pas beaucoup. Il m’a dit : Moi, je joue des tambours Bata. Je vais t’apprendre ! » L’élève est devenu son professeur.

Les tambours Bata sont utilisés dans les cérémonies de la Santeria. « Ma question est certainement très bête, mais… Les femmes ont le droit de jouer des Bata ? » « Sur scène oui, pas dans les cérémonies. » Je poursuis mon idée. « Et en tant que femme, vous n’avez pas rencontré d’obstacle ? » « Je pratique la religion yoruba. Je m’en suis encore rapprochée pour améliorer ma compréhension, faciliter mon ressenti. Ça s’est bien passé parce que j’avais été présentée par quelqu’un du milieu. Sans ça, ça aurait certainement été beaucoup plus difficile. »

Pour elle, la musique cubaine de la première partie du vingtième siècle est primordiale

Mi Mundo s’ouvre sur une ode à Eleggua et se termine avec Oshun, deux divinités de la religion yoruba. « J’ai le sentiment que la chanson Rumbero Como Yo est importante dans l’album… » « C’est vrai. Elle affirme ce que je suis. C’est un hommage à la rumba, à Cuba. » « Il y a deux autres titres rumba… Mulata Linda avec Osain Del Monte [célèbre groupe de rumba] et Namaste qui intègre des éléments de folklore venu d’Inde. »

Mi Mundo contient deux classiques cubains : Cachita, standard de Rafael Hernández Marín interprété entre autres par les Lecuona Cuban Boys ainsi que Drume Negrita, popularisé par Bola de Nieve. Je demande à Brenda ce que représente pour elle la musique de la première partie du vingtième siècle. « Pour moi, cette période est primordiale. Les années vingt à cinquante ont vu la naissance de toutes les musiques qui représentent Cuba : son, mambo, cha-cha-chá… »

Mi Mundo est également marqué par trois moments forts. Anana Oyé est une chanson du trovador Pedro Luís Ferrer. « Je l’ai aimé tout de suite ! » Brenda se l’approprie au point de faire oublier l’original. Elle reprend la version afro-cubaine de Bobby Carcassés de Caravan, le standard de Duke Ellington et Juan Tizol. Brenda interprète enfin en duo avec Alain Pérez [ancien bassiste d’Issac Delgado, réputé pour ses talents d’arrangeur] Taita Bilongo, un titre de Celia Cruz.

Alain Pérez l’a mise à la porte pour la forcer à voler de ses propres ailes

« J’ai une histoire à vous raconter ! Un jour, je dis à Alain que j’adore Taita Bilong, que je rêve de la chanter. » Alain lui dit : « C’est moi qui l’ai écrite, avec mon père. [Gradelio Pérez] » « La chanson de Celia était une salsa. Nous l’avons réécrite en version afro-latin jazz. » Brenda Navarrate a travaillé deux ans avec Alain Pérez. Il l’a poussé vers la sortie pour l’obliger à se lancer dans sa propre carrière. « Ça m’a brisé le cœur ! », ajoute-t-elle en riant.

« Vous avez beaucoup d’amis », lui fais-je remarquer en citant quelques-uns des musiciens de l’album : Alain Pérez (basse), El Negro Hernández (batterie), Hilario Durán (piano), Rolando Luna (piano), Eduardo Sandoval (trombone)… « Ils sont tous excellents. Ce sont vraiment mes amis ! La création artistique est un processus exigeant. Je n’avais pas envie de passer du temps à la recherche de musiciens que je ne connaissais pas. On est proche. Ils connaissent ce que je fais. C’est ma famille musicale. »

Au moment de nous séparer, une dernière question me brûle les lèvres… « C’est vrai que vous n’avez jamais pris de cours de chant ? » « Jamais. » Elle se ravise : « Si, une semaine. »

Jazz sur son 31 à l’heure cubaine

Le festival toulousain Jazz sur son 31, trente-deux ans au compteur, se décline en différentes thématiques dont Jazz à La Havane, qui s’est déroulé du 7 au 13 octobre 2018.

Jazz à la Havane est une idée de Philippe Monsan, un habitué des clubs de La Havane et de son festival Jazz Plaza, qui l’a proposé au directeur artistique du festival Philippe Léogé. La première édition a réuni autour du pianiste Harold Lopez-Nussa sept trentenaires cubains reconnus sur la scène internationale. Le résultat au-delà de toute espérance a donné naissance à un enregistrement qui devrait sortir en fin d’année.

Philippe Monsan a construit cette deuxième édition autour du pianiste Roberto Carcassés et de sa formation Interactivo, la pierre angulaire du dispositif étant la personne de Bobby Carcassés. Le père de Roberto, sorte de Dean Martin cubain oublié par la vague du revival des années quatre-vingt-dix. Bobby, qui a débuté sa carrière avant la révolution, n’a jamais oublié le jazz. En 1979, il fut à l’origine de la toute première édition de Jazz Plaza à La Havane.

L’idée d’inviter Bobby est venue au moment de préparer l’édition 2 018. Philippe a lancé à Roberto : « Et si on faisait venir Bobby ? » « Et pourquoi pas ! » Concerts, show cases, master classes, la présence du vétéran de quatre-vingts printemps, aussi à l’aise dans le scat que la rumba, fut l’un des points d’orgue de la manifestation, l’autre événement étant la présentation par Brenda Navarrete de son album Mi Mundo.

Le feu d’artifice final de Jazz à La Havane fut le concert du groupe encore trop méconnu Interactivo. La présence scénique des membres du collectif, sa musique fusionnelle de pop, rock, salsa, rumba et le talent du génial Roberto Carcassés font d’Interactivo, vingt-six ans après sa création, l’un des groupes cubains les plus innovants du moment.

Interactivo : Roberto Carcassés, piano / Tailin Marrero, basse / Rodney Barreto, batterie / Julio Padron, trompette / Juan Carlos Marin, trombone / Brenda Navarrete, percussions / Tanmy Lopez Moreno, chant, violon / Roberto « Bobby » Carcassés, trompette, scat.

Brenda Navarrete : Mi Mundo (2018, Alma Records)