Thierry Henry, sur le terrain du centre d’entraînement de l’AS Monaco, à La Turbie, jeudi 18 octobre. / ERIC GAILLARD / REUTERS

En Principauté, l’effervescence est une notion relative, souvent plus médiatique que populaire. Les mauvais résultats de l’AS Monaco, 18e de Ligue 1, ne déchaînent pas les foules, à peine conduisent-ils à une petite révolution de palais. Le départ contraint de l’entraîneur Leonardo Jardim et son remplacement par Thierry Henry n’ont guère troublé la tranquillité luxueuse du Rocher, qui a accueilli le champion du monde 1998 sans effervescence. Le décor de ses débuts en tant qu’entraîneur principal, samedi 20 octobre à Strasbourg, sera bien différent : le stade de la Meinau est réputé comme l’un des plus animés de France.

Thierry Henry n’aura que quatre jours de vécu avec son nouveau staff et effectif, deux seulement pour les internationaux rentrés de sélection. Mercredi, plus de 80 journalistes ont assisté à sa présentation. Les dirigeants monégasques avaient choisi un lieu emblématique : le très honorable Yacht Club de Monaco, et son toit surplombant la marina, cadre idéal pour la traditionnelle séance photo. Entre deux poses, la vedette du jour a même eu l’occasion de saluer l’un de ses ex-coéquipiers du titre de champion de France 1997 : Ali Benarbia, qui lézardait en peignoir blanc sur la terrasse du palace voisin.

Un peu plus tôt, indifférentes, plusieurs petites têtes blondes monégasques s’affairaient à la mise à l’eau de leurs Optimist, prêtes à naviguer au milieu des palaces flottants amarrés au quai Louis-II. Seul un touriste allemand semblait vaguement s’intéresser à l’événement du jour : « Vous êtes là pour le joueur de foot ? Il va passer par là ? » Convié la veille par téléphone, Nicolas, 19 ans, servait de caution supporteur. Il était l’un des deux chanceux tirés au sort, en tant qu’« abonné premium », pour assister à la présentation.

« Moins de pression qu’ailleurs »

Costume noir impeccable, cravate assortie et baskets élégantes aux pieds, le meilleur buteur de l’histoire des Bleus exhalait la confiance en soi en fendant la foule des journalistes. Avant qu’il ne pénètre à l’intérieur du salon de réception, un clip en noir et blanc le mettant en scène a martelé le message : l’enfant prodigue est de retour. « Tout a commencé ici : travail, douleur, passion, joie et respect. Souvenirs. Tout commence ici. Tout recommence maintenant. Je reviens à Monaco. »

Débarqué d’Ile-de-France à 17 ans, le longiligne attaquant s’est formé au football de haut niveau à Monaco. Ses déboulés sur l’aile gauche et sa façon de repiquer au centre ont marqué les esprits, tout comme sa fine moustache, « presque un duvet », se souvient José Daniel, un retraité attablé au café Les Allobroges à Roquebrune-Cap-Martin, siège de la section locale du Club des supporteurs de Monaco (CSM). Employée pendant plus de dix ans à la cafétéria du centre de formation de l’ASM, Marie-France Castillon, émue par ce retour, garde, elle, l’image d’un « petit gars bien, poli et respectueux ».

Il faut croire qu’il n’a pas changé : la conférence de presse de « Titi » a commencé par une longue série de remerciements, notamment à la Fédération belge, qui l’a libéré de son poste d’entraîneur adjoint des Diables rouges. Puis insisté, reprenant l’antienne de la communication du club, sur ses liens profonds avec le club – même si c’est bien devant le stade d’Arsenal, à Londres, que l’ancien attaquant a sa statue : « J’ai marqué mon premier but ici. Depuis que je suis parti, je regarde les résultats de Monaco. Le club a une place particulière dans mon cœur. C’est extraordinaire d’être de retour. » Le vice-président, Vadim Vasilyev, avait également donné le ton : « Il a été un très grand joueur, c’est un enfant du club. Aujourd’hui, c’est en tant que technicien qu’il nous a impressionnés. Aucun doute qu’il soit un très bon entraîneur. »

Supporteur historique du CSM, Marcel Viano prend l’exemple d’un autre glorieux ancien pour valider ce choix audacieux. « Deschamps aussi, quand on l’a pris en en 2001, il n’avait jamais entraîné. La première année a été galère et après, il a gagné la Coupe de la Ligue et il nous a amenés en finale de la Ligue des champions, rappelle-t-il. Monaco, c’est la première expérience idéale pour lui. Il arrive en terrain connu et il y a moins de pression qu’ailleurs. »

Passé par les plus grands clubs, d’Arsenal au Barça, international aux 123 sélections, Thierry Henry semble n’avoir rien perdu de la sérénité et de l’assurance qui ont accompagné sa première carrière : « Il n’y a pas de stress, il n’y a pas d’impatience non plus, plutôt une envie de débuter. J’ai passé tous mes degrés [diplômes] d’entraîneur. J’ai ramassé les maillots dans les vestiaires des équipes de jeunes d’Arsenal. J’ai installé les buts, placé les plots en sélection belge. Il fallait en passer par là. »

A l’aise et souriant, celui qui a souvent entretenu des relations difficiles avec la presse, française en particulier, dit avoir soldé les comptes : « Il n’y a aucun problème avec les médias. J’ai laissé ma carrière derrière moi. Je suis dans la peau d’un coach. » Il a même manié l’humour, comme avec ce journaliste belge auteur de la première question : « Je vous ai évité deux ans, là, je ne peux pas. » Prolixe en français, l’ancien consultant de la chaîne Sky Sport s’est montré encore plus inspiré en anglais, se lançant dans de longues tirades qui ont fait suer le traducteur.

Hommage au jeu à la nantaise

L’ex-idole des Gunners n’a pas échappé non plus aux questions sur ses influences. En dehors des deux références mondiales, Arsène Wenger et Pep Guardiola, qui l’ont entraîné durant sa carrière de joueur, il a rendu hommage à la filière nantaise et sa tradition de beau jeu collectif : « Beaucoup de gens m’ont inspiré en France tels que [José] Arribas, [Jean-Claude] Suaudeau et [Raynald] Denoueix. Ils aimaient et respiraient le foot. »

Avant de parvenir à faire bien jouer l’AS Monaco, il aura une mission plus terre à terre, celle de mettre fin à la spirale de mauvais résultats et redonner confiance aux joueurs, dont le moral est au plus bas. L’heure est au pragmatisme, même si aucun objectif comptable ne lui a été fixé par ses dirigeants : « Il faut sécuriser les joueurs, retrouver une certaine joie, un équilibre et éviter de prendre des buts. Ce dont l’équipe a besoin maintenant n’est pas ce dont elle aura besoin dans deux mois. »

Alors que le club a l’habitude de vendre ses talents dès qu’ils parviennent à maturité, le premier marché des transferts, en janvier, sera scruté avec intérêt. L’arrivée du perfectionniste Thierry Henry peut-elle infléchir la stratégie financière de l’ASM, dite du « trading » de joueurs ? « Je suis là pour coacher l’équipe », a-t-il botté en touche, comme pour indiquer que sa sphère d’influence se limiterait au terrain. Premier indice, le refus de la direction de payer la somme réclamée par Rennes pour libérer Julien Stéphan, l’un des adjoints désirés par Thierry Henry. Confirmation qu’il faut plus qu’un changement d’entraîneur pour bouleverser Monaco.