Analyse. On sait que la parole politique a un effet sur la mortalité routière : plus elle est ferme et constante, plus le nombre de morts diminue. On l’a observé en 2002, lorsque Jacques Chirac avait annoncé que la sécurité routière serait une priorité de son quinquennat : le nombre de tués avait baissé, avant même l’installation des premiers radars. On a pu encore le vérifier récemment, avec les interventions du premier ministre, Edouard Philippe.

Celui-ci a annoncé, lors d’un comité interministériel, le 9 janvier, que la vitesse baisserait, de 90 à 80 km/h, à partir du 1er juillet, sur les routes départementales et nationales à double sens, dépourvues de séparateur central. Dès le mois de mars, cette annonce a produit ses effets, avec 13,5 % de morts en moins. En dépit des manifestations d’automobilistes et de motards, le premier ministre n’a pas changé de cap, répétant que « passer de 90 à 80 km/h sur un trajet de quarante kilomètres représente trois minutes supplémentaires ». Le nombre de morts a continué à descendre, jusqu’à la fin du mois d’août. C’est la première fois, depuis 2013, meilleure année en matière de sécurité routière, que l’on observe six mois de baisse consécutive.

Sanctions et contrôles

Mais, depuis le 1er juillet, date à laquelle la vitesse maximale autorisée est passée de 90 km/h à 80 km/h sur ces routes, les prises de parole du chef du gouvernement ont cessé. Quant au désormais ex-ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, hostile à la mesure, il n’a pas protesté contre les destructions de radars, qui se sont multipliées ; il n’a rien fait pour accélérer le remplacement de certains panneaux 90, qui n’ont été enlevés qu’à la mi-août.

Tout a semblé se passer comme si le gouvernement attendait que la mesure, seule, sans accompagnement pédagogique, produise ses effets. Ce n’est pas le cas : en septembre, la mortalité est repartie à la hausse ; 323 personnes sont mortes sur les routes de métropole, ce qui représente 26 de plus (8,8 %) qu’en septembre 2017, a rapporté l’Observatoire interministériel de la sécurité routière (Onisr), le 18 octobre. Un chiffre négatif même si, comme l’objecte Emmanuel Barbe, délégué à la sécurité routière, « le beau temps a mis plus de gens sur les routes, et notamment des motards (81 tués) ».

L’expérience montre aussi que s’il n’y a pas de contrôle et de sanction, les bonnes mesures restent sans effet. Or, depuis que les avertisseurs de radars (Coyote, TomTom…) signalent les appareils fixes et mobiles, il n’est pas certain que les conducteurs respectent la baisse de la vitesse maximale autorisée. Ils peuvent se contenter de lever le pied en passant devant une cabine, afin de ne pas avoir d’amende. Ils ne risquent pas non plus de craindre les radars embarqués dans des voitures banalisées, non détectables par les avertisseurs : ces derniers sont encore trop peu nombreux ; ils ne fonctionnent à plein-temps que dans les départements de la Normandie.

« 350 à 400 vies par an »

Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, demande donc que « la délégation à la sécurité routière rende publics les chiffres des vitesses moyennes pratiquées ». La délégation peut en effet les connaître, grâce aux boîtiers qu’elle a fait installer, et qui sont au nombre de 40, « alors qu’il en aurait fallu un par département », selon Mme Perrichon.

Il est en effet impératif que la vitesse maximale soit respectée, comme l’a démontré le chercheur Jan-Eric Nilsson : la réduction de la vitesse maximale entraîne une réduction des vitesses moyennes, qui a elle-même pour conséquence une réduction des accidents mortels. C’est en partant de ce principe que le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière, instance consultative, avait recommandé, en septembre 2013, le passage au 80.

Celui-ci était censé permettre d’épargner « 350 à 400 vies par an », en métropole, soit 30 à 34 morts chaque mois. Or, force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur : en juillet, l’Onisr a certes enregistré une baisse du nombre de tués. Mais elle n’était que de 19 par rapport à juillet 2017 (– 5,5 %). C’est seulement sur les mois de juillet et d’août cumulés que l’objectif minimal a été atteint : en août, l’Onisr a en effet décompté 297 morts, soit 46 de moins (– 15,5 %) qu’en août 2017.

Pierre Chasseray, le délégué général de 40 millions d’automobilistes, en conclut que « la démonstration est ainsi faite » que le modèle de Nilsson, qu’il a toujours remis en cause, n’est pas valide. Mme Perrichon demande pour sa part que la délégation à la sécurité routière dise très vite si la baisse du nombre de morts en juillet et en août est due à une baisse sur les routes bidirectionnelles sans séparateur médian ou à une baisse sur tous les types de routes.

M. Barbe répond qu’il faudra attendre « le premier semestre de 2019 » pour obtenir la géolocalisation des accidents. Il estime qu’« il est encore trop tôt » pour mesurer les effets du 80 km/h, et rappelle que l’expérimentation « est censée durer deux ans ».