Jeune artiste, Jean-Michel Basquiat peint sur des portes en bois trouvées dans les immeubles en ruine. / DR.

LES CHOIX DE LA MATINALE

Pour ce week-end d’automne, La Matinale vous suggère une plongée dans le lucratif et alarmant trafic de cornes de rhinocéros, un film glaçant sur les marchands d’art et le IIIReich, et un documentaire sur Basquiat vu par ses proches.

Les cornes de la discorde

“Rhino dollars”, une enquête vertigineuse sur la fin atroce des rhinocéros (extrait 2)
Durée : 03:01

C’est un trafic méconnu, qui est pourtant aussi lucratif que ceux de l’or ou de l’héroïne. En Asie, et principalement en Chine et au Vietnam, la corne de rhinocéros se vend 40 000 euros le kilo au marché noir. Les conséquences sont graves : au rythme actuel des carnages, cette espèce animale devrait disparaître d’ici vingt ans. Derrière ces massacres dictés par la loi du marché se cache le crime organisé. Par une multitude d’intermédiaires, il a tissé sa toile d’un continent à l’autre.

A l’échelle de l’Afrique, les tueries sont presque banales. On estime qu’un rhinocéros est tué toutes les huit heures. Le film, qui offre une enquête approfondie, remonte toutes les pistes, y compris jusqu’aux braconniers. A l’autre bout de la chaîne, il y a le consommateur. Il est asiatique et vient généralement de la classe supérieure. La prise de corne de rhinocéros, qui se consomme râpée dans de l’eau ou de l’alcool, est en vogue dans les milieux d’affaires. On prête à ces fibres de kératine des vertus anticancérogènes et aphrodisiaques, même si aucune enquête sérieuse ne l’a démontré.

Des dizaines d’ONG luttent actuellement contre l’extermination de ces mammifères qui sont présents sur Terre depuis cinquante-cinq millions d’années. Certaines infiltrent les réseaux avec des espions, d’autres n’hésitent pas à utiliser la force. Le Sud-Africain Vincent Barkas a créé Protrack, une compagnie de sécurité privée semblable à une milice. Elle est composée de 350 hommes surentraînés et ­équipés d’armes de guerre. La survie des rhinocéros est aujourd’hui à ce prix. Pierre Lepidi

« Rhino dollars », d’Olivia Mo­kiejewski (France, 2018, 90 min). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 14 décembre et sur YouTube.

Le conservateur d’Hitler

Les marchands d'Hitler
Durée : 01:44

La scène inaugurale est paradoxale : dans un espace chrétien du cimetière de Düsseldorf, le 19 mai 2014, rares sont ceux qui assistent à l’inhumation de Cornelius Gurlitt. Si le vieil homme, disparu à 80 ans, ne fréquentait personne, cloîtré depuis des années dans un appartement, il avait été brusquement placé en pleine lumière par le magazine Focus, qui avait révélé la perquisition opérée à son domicile en février 2012. A la suite d’un banal contrôle de la douane suisse, une enquête fiscale débouchait sur la mise au jour d’un trésor : la collection d’œuvres d’art réunie par son père pendant le IIIe Reich. Près de 1 500 pièces, dont certaines signées Courbet, Picasso, Matisse, et aussi Klee, Munch, Dix…

A priori menacé par l’ascension des nazis – non seulement il se passionne pour l’art moderne tenu pour « dégénéré », mais il a une grand-mère juive, ce qui vaut à ce « métis juif de seconde catégorie » de perdre la direction du Kunstverein de Hambourg dès 1933 – Hildebrand Gurlitt choisit de collaborer avec les nouveaux maîtres en assurant en 1938, avec trois autres galeristes, la vente des œuvres confisquées pour financer l’effort de guerre du Reich.

A partir du cas de Gurlitt, le film démonte la logique à l’œuvre en Allemagne, puis élargie aux territoires soumis : le rôle de Drouot, à Paris, dont la fréquentation ne faiblit pas sous l’Occupation, les « prélèvements », dans les musées comme dans les collections privées, des œuvres destinées au musée idéal qu’Hitler envisage d’ouvrir à Linz ou au bénéfice des galeristes à son service. Glaçant. Philippe-Jean Catinchi

« Les Marchands d’Hitler », de Stéphane Bentura (Fr., 2014, 60 min). Disponible sur Francetv.fr jusqu’au 25 octobre.

Basquiat, génie torturé

Jeune artiste, Jean-Michel Basquiat peint sur des portes en bois trouvées dans les immeubles en ruine. / DR.

Monté sans voix off, ce film donne la parole à une multitude de personnes qui ont côtoyé le peintre Jean-Michel Basquiat. Ses sœurs, Lisane et Jeanine, racontent l’accident dont il fut victime à l’âge de 7 ans devant chez lui, à Flatbush, à Brooklyn. Renversé par une voiture, il est emmené à l’hôpital, où sa mère lui offre Gray’s Anatomy, classique de l’anatomie humaine publié en 1858 qui aura une grande influence sur lui. Le film présente cet accident comme l’élément moteur de son enfance, passant sous silence ses rapports conflictuels avec son père, pour rebondir dix ans plus tard, lorsque Basquiat inscrit ses premiers graffitis sur les portes des rues de Downtown Manhattan.

Son ami le rappeur Fab Five Freddy explique comment, à force de fréquenter les grands musées new-yorkais, Basquiat se construit un répertoire d’images, de héros et de symboles issus des cultures les plus ­diverses. Le jeune artiste, qui n’a pas les moyens de se payer des toiles, peint sur des portes en bois qu’il trouve dans les immeubles en ruine de Manhattan.

S’appuyant sur de nombreuses archives privées ou télévisuelles ainsi que sur des toiles du peintre, le réalisateur fait alors défiler devant sa caméra le gratin des marchands d’art qui l’ont connu de près ou de loin, comme la galeriste new-yorkaise Annina Nosei, qui fut accusée de l’avoir enfermé dans son sous-sol. Tous se vantent d’avoir été les seuls à avoir compris l’artiste enragé, révolté par le racisme et la condition des Noirs en Amérique, mais aucun d’entre eux ne s’interroge sur la dose mortifère de gloire que le monde de l’art a pu lui injecter. Antoine Flandrin

« Jean-Michel Basquiat, la rage créative », de David Shulman (Royaume-Uni, 2017, 55 min). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 17 novembre.