La transformation de notre modèle social engagée par le gouvernement constitue un pari : pour le réussir, il faudra déployer de gros efforts de pédagogie et préserver les dispositifs d’aide si la conjoncture économique s’essouffle. C’est, en substance, ce que préconise Entreprise & Personnel (E & P), un réseau associatif d’entreprises, dans sa « note de conjoncture sociale » publiée vendredi 19 octobre.

Depuis l’entrée à l’Elysée d’Emmanuel Macron, plusieurs réformes de grande ampleur ont été conduites pour modifier le fonctionnement du marché de l’emploi. La « ligne directrice [de ces changements] semble fortement inspirée des modèles nordiques et plus particulièrement danois », estime E & P. L’objectif, maintes fois affiché par l’exécutif, est d’instaurer un système s’apparentant à celui en vigueur dans ces pays d’Europe : la flexisécurité, qui assouplit les règles sur la relation de travail (pour faciliter les licenciements) tout en prévoyant un niveau élevé de protection (par le biais de l’assurance-chômage et des programmes de formation).

C’est dans cette optique que furent promulguées, en septembre 2017, les ordonnances réécrivant le code du travail. Elles ont été complétées, un an après, par la loi « avenir professionnel » qui chamboule le secteur de l’apprentissage, de la formation continue et élargit le versement des allocations-chômage à de nouveaux publics.

« Liberté de liciencier plus contrainte »

Toutefois, si la France s’inspire de l’exemple danois, elle s’en distingue sur de nombreux points, pour E & P. D’abord, « la liberté de licencier [demeure] plus contrainte » dans notre pays. En outre, les demandeurs d’emploi sont mieux couverts chez notre voisin nordique mais ils doivent aussi rendre plus de comptes, en particulier dans leur quête de réinsertion professionnelle.

Autre grande différence entre les deux pays : la qualité du dialogue social. En France prévaut « la culture du rapport de force », chez les syndicats mais aussi au sein du patronat, constate E & P. Les Etats scandinaves, eux, privilégient le consensus : les organisations d’employeurs et de salariés jouissent d’une « légitimité forte » et elles se placent constamment dans la recherche du « compromis ». « Notre système à “désaccords multiples” ne peut développer un climat d’apaisement et de convergences, conditions d’une régulation sociale efficace », regrette E & P.

Enfin, le « contexte économique dégradé » complique la tâche du gouvernement. La croissance pour 2018 va être inférieure à celle observée en 2017 et plusieurs périls se dessinent : guerre commerciale initiée par les Etats-Unis, relèvement des taux d’intérêt (qui renchérit le coût des emprunts bancaires donc des investissements), etc. Dès lors, « on risque de passer par une période où les indicateurs sociaux seraient susceptibles d’empirer », juge Frédéric Guzy, directeur d’E & P. Le risque est d’autant plus à prendre à sérieux que, en cas de difficultés, les entreprises pourront plus facilement se séparer de leurs salariés, avec les ordonnances de 2017 qui simplifient la rupture du contrat de travail.

C’est pourquoi E & P recommande de mener un travail d’explication auprès des « acteurs sociaux » sur les « conditions et modalités de succès du modèle danois ». Il s’agit de faire comprendre « les impacts positifs dans le long terme et peut-être négatifs sur un temps plus court », souligne l’association patronale. Celle-ci plaide par ailleurs pour un renforcement des mécanismes de « sécurisation » des actifs, si l’activité pique du nez au moment de la mise en place des réformes.