Survol du fleuve Guadalquivir, près de Séville, en Espagne. / JULIEN MASSON

Lorsque le plafond nuageux était bas, le col du Perthus (290 m), signalé par un phare, était le point de passage des pilotes de l’Aéropostale au-dessus des Pyrénées. C’était il y a un siècle.

En cette fin septembre, l’été indien s’est installé sur Perpignan et un chaud soleil brille ce matin au-dessus du raid Aéropostale-Latécoère, parti la veille de Toulouse. Dans le cockpit du Robin DR-400, un avion de tourisme monomoteur, Ronan Goujon et Bob Moreno regardent le GPS tout en admirant la côte catalane. Ces deux amis de l’aéroclub d’Annonay (dans la Drôme) ont accepté d’embarquer un journaliste du Monde Afrique jusqu’à Dakar. Cap au sud.

Présentation de notre série : Dans le sillage de l’Aéropostale

Saint-Cyprien, Argelès, Collioure… Les longues plages se succèdent, avec un arrière-goût d’été. Cerbère, que l’on distingue facilement sur la droite de l’appareil, est la dernière commune française située le long de la côte. « On vient de passer la frontière », annonce Bob Moreno, qui a déjà participé au raid Latécoère en 2017. « Viva Espana ! » Le cap de Creus, cher aux amateurs de plongée sous-marine, se jette plus loin dans la mer.

Déjà bétonnée à l’excès, la région frontalière est au cœur d’un scandale puisque de nouveaux plans d’urbanisation datant des années 1980 viennent de refaire surface et que des projets de construction doivent être relancés cet automne. Des centaines de maisons, d’hôtels et de résidences secondaires, répartis sur onze communes, doivent bientôt sortir de terre. Mais où construire ? Vue du ciel, la côte est déjà saturée d’immeubles de toutes les formes, de toutes les couleurs, de toutes les hauteurs. Un terrain de golf s’étale comme une oasis de verdure perdue au milieu de ce béton roi qui sature la Costa Brava. L’avion s’écarte pour contourner Gerone et atterrir quelques dizaines de minutes plus tard sur la piste de Sabadell, au nord de Barcelone, pour une escale d’une nuit.

« Un temps de curé »

Jean Mermoz a passé une année à Barcelone avant l’ouverture de la ligne Aéropostale vers l’Afrique, en 1919. Autour de la Rambla, il s’est senti parfaitement à son aise. « Ça gaze toujours très bien, écrit-il à Mangaby, sa mère. Je ne me déplais pas à Barcelone, qui est une très jolie ville… Je vole beaucoup, ce qui n’est pas pour me déplaire. » Il a un jour de repos sur trois et profite de son temps libre pour aller nager au club de natation. « C’est au bord de la mer et c’est mixte ! Alors tu penses… confie-t-il à sa mère. J’y passe tous mes moments libres, je commence à me bronzer bougrement. C’est qu’il fait chaud en ce moment, une température presque tropicale. »

Une carte touristique de Barcelone en 1920. / Amadalvarez / Creative Commons

Un siècle plus tard, la chaleur est toujours présente et aucun nuage ne vient assombrir le ciel de Catalogne. « C’est un temps de curé ! », disent les pilotes. Les trois réservoirs – un central de 190 litres et deux dans les ailes de 40 litres – ne permettant pas au DR-400 de traverser l’Espagne d’une traite jusqu’à Séville, un « refueling » est prévu sur un aérodrome à Requena, à l’ouest de Valence. Après quasiment deux heures d’un vol sans histoires, la piste apparaît subitement au milieu d’une végétation devenue de plus en plus aride au cœur de la péninsule Ibérique. Les réservoirs pleins, l’avion est prêt à repartir.

Mais avec un pilote, un copilote, un passager, des valises et une malle remplie d’albums de Léo l’aviateur, une bande dessinée qui sera distribuée par l’organisation du raid dans des écoles du Maroc et du Sénégal, l’avion est très proche de sa charge maximale.

« La piste étant un peu courte et vu que nous sommes très chargés, il va falloir prendre un sac sur les genoux pendant la phase de décollage, explique Ronan Goujon. Ça va permettre de déplacer le centre de gravité de l’avion vers l’avant et d’éviter qu’il ne se cabre quand il aura quitté le sol. Lorsqu’on aura atteint notre altitude de croisière, on pourra mettre le bagage à l’arrière. » Au sommet d’une colline, à quelques kilomètres en bout de piste, pylônes et lignes à haute tension se dressent. D’un court virage sur sa gauche, l’avion les évite et la menace disparaît au loin.

Le Robin immatriculé « Foxtrot-Golf-Tango-Papa-Novembre », F-GTPN, survole d’immenses fermes solaires et des champs d’éoliennes, dont certains comptent plusieurs dizaines d’hélices. Avec ses serres de plusieurs hectares dans lesquelles poussent des tonnes de fruits et de légumes, l’Andalousie est facilement reconnaissable vue du ciel. C’est le jardin de l’Europe que l’on survole.

Tapas et guitares

Le ciel s’est légèrement voilé. Vers l’ouest, des cumulonimbus sont en formation. Tous les pilotes évitent ces nuages d’orage quand ils le peuvent. Les traverser, c’est prendre le risque d’être « brassé » dans tous les sens par des courants extrêmement violents qui peuvent endommager la structure de l’appareil.

A la radio, un pilote britannique entre en contact avec la tour de contrôle de l’aéroport de Séville. Il explique qu’il vient justement de l’ouest et s’est méchamment fait secouer par les nuages. Sa voix est fatiguée. Il demande l’autorisation d’atterrir à Séville sans avoir déposé de plan de vol. La tour refuse au prétexte que l’aéroport est déjà très encombré. Le pilote insiste. La tour rejette la requête et demande au pilote d’avion privé de se dérouter sur Jerez de la Frontera, un peu plus au sud.

Le contrôleur aérien a dit vrai. Alors que le DR-400 est en phase d’approche, il ordonne à Ronan Goujon de virer sur sa gauche – « orbit to left, orbit to left » – pour libérer le couloir afin de permettre le décollage d’un imposant avion de ligne de la compagnie Ryanair. Après quelques tours à l’est du Guadalquivir, le fleuve qui traverse Séville, l’appareil se pose enfin dans la zone militaire de l’aéroport.

La soirée se déroule autour de quelques tapas et au son des guitares dans cette perle de l’Andalousie qu’est Séville. Le lendemain, ultime briefing à l’aéroport pour connaître les conditions météo. « C’est une belle journée qui s’annonce et je sais que vous l’attendez depuis très longtemps, se félicite Thierry Roz, organisateur du raid Latécoère-Aéropostale. Bon vol, rendez-vous ce soir au Maroc ! »

Dans le sillage de l’Aéropostale : sommaire de notre série

Un siècle après le lancement de la célèbre ligne aérienne, le journaliste du Monde Afrique Pierre Lepidi a embarqué à bord d’un avion du raid Latécoère, qui, du 27 septembre au 5 octobre, a relié Toulouse à Dakar.

Présentation De Toulouse à Dakar, dans le sillage de l’Aéropostale

Episode 1 « Toulouse-Dakar à bord d’un Broussard, c’est le rêve d’une vie »