Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 23 octobre devant les parlementaires du Parti de la justice et du développement (AKP), à Ankara. / Ali Unal / AP

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a dit avec force, mardi 23 octobre, ce que des sources policières anonymes et les médias turcs répètent à l’envi depuis trois semaines : le journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi a été « sauvagement assassiné » à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Les déclarations de M. Erdogan, annoncées la veille comme susceptibles de faire « toute la vérité » sur l’affaire Khashoggi, n’ont apporté aucun élément vraiment nouveau, sinon qu’elles contredisent la version saoudienne des faits selon laquelle le journaliste a été tué dans l’enceinte du consulat après un interrogatoire qui aurait dégénéré en pugilat.

Agé de 59 ans, Jamal Khashoggi ne ménageait pas ses critiques envers le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, dit « MBS », notamment dans les chroniques qu’il publiait dans le Washington Post depuis son exil volontaire aux Etats-Unis à l’automne 2017. Personne ne l’a plus revu depuis qu’il a franchi la porte d’entrée du consulat saoudien à Istanbul, où il avait rendez-vous pour une démarche administrative, lundi 2 octobre à 14 heures.

Opération planifiée « plusieurs jours à l’avance »

Prenant la parole face au groupe parlementaire de son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) à Ankara, M Erdogan, ovationné après avoir fait des deux mains la « rabia » (le signe de ralliement des Frères musulmans, les quatre doigts de levés, le pouce replié vers la paume), a exposé les détails d’une opération planifiée « plusieurs jours à l’avance ».

Celle-ci a été menée par une équipe de quinze Saoudiens, envoyée à Istanbul tout spécialement par Riyad, a-t-il confirmé. La préméditation ne fait aucun doute. En premier lieu, M. Khashoggi était attendu au consulat où il avait pris rendez-vous. Ensuite, les agents saoudiens dépêchés sur place ont effectué des repérages aux environs d’Istanbul juste avant le meurtre. Par ailleurs, les employés turcs de la résidence du consul avaient reçu un congé exceptionnel le 2 octobre, jour où le journaliste s’est présenté au consulat. Enfin, les caméras de vidéosurveillance du consulat ont été désactivées le matin même, a confirmé M. Erdogan.

Il s’agit d’« un assassinat politique », a dénoncé le président turc, tout en se gardant de se prononcer sur l’identité du commanditaire. Il a préféré rappeler les importantes zones d’ombre qui subsistent autour de la mort du journaliste par le biais de questions. « Pourquoi le corps reste-t-il introuvable à ce jour ? » ; « qui a donné les ordres aux tueurs ? »

Un pays « frère et ami »

Riyad a été renvoyé à ses propres contradictions lorsque le président turc a exigé que l’identité de l’« interlocuteur local » mentionné par les Saoudiens comme ayant fait disparaître le corps du journaliste soit communiquée aux autorités turques.

A aucun moment du discours présidentiel, il n’a été fait mention de « MBS », pourtant pointé du doigt ces derniers jours comme le commanditaire de l’assassinat par les médias turcs pro-gouvernementaux, alimentés par les fuites des services secrets, et américains, ainsi que par des parlementaires américains, dont le sénateur républicain Lindsey Graham, proche du président Donald Trump.

Cette omission en dit long sur la volonté de M. Erdogan de ne pas brûler tous les ponts de sa relation avec le royaume saoudien, un partenaire commercial non négligeable, surtout au moment où l’économie turque est menacée de récession. L’Arabie saoudite est un pays « frère et ami », avait pris soin de rappeler Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence turque, à la veille du discours de M. Erdogan.

« Confiance » au roi Salman

A plusieurs reprises dans son allocution, le président turc s’est adressé au roi Salman, qu’il a pris soin de ménager, se disant « confiant » en sa volonté de coopérer à l’enquête menée par la Turquie. Le souverain saoudien, âgé de 83 ans, a été invité par le président turc à faire en sorte que tous les protagonistes de l’opération rendent des comptes, « du plus haut niveau au plus bas ».

Le « plus haut niveau » était une allusion voilée au prince hériter. « Tout prouve que cet assassinat a été réalisé sur les ordres de Mohamed Ben Salman. D’après nos informations, après avoir tué Khashoggi au consulat, Maher Abdulaziz Mutreb [le chef du commando de 15 hommes dépêchés à Istanbul pour l’opération] a appelé depuis son portable à quatre reprises Bader Al Asaker, le directeur de cabinet du prince héritier », assure le quotidien Yeni Safak dans son édition du 22 octobre.

C’est avant tout à travers les Etats-Unis que le président turc compte accentuer la pression sur Riyad. Il semble y être parvenu. « Le monde entier nous regarde. Les Américains veulent des réponses et nous allons exiger que ces réponses viennent rapidement », a averti le vice-président américain, Mike Pence, qui assistait mardi, à Washington, à une rencontre organisée par le Washington Post.