CBD : faut-il lutter contre le cannabidiol ?
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La décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence poussera-t-elle les autorités françaises à revoir la réglementation sur le cannabidiol (CBD) ? Depuis le mois de juillet, plusieurs gérants de boutiques commercialisant des huiles, des pommades mais aussi de la résine et des fleurs contenant cette molécule non psychotrope du cannabis vantée pour ses vertus relaxantes font l’objet de poursuites judiciaires. Or les bases juridiques sur lesquelles se fondent ces poursuites sont contestées par plusieurs spécialistes du droit des drogues.

Appelée à se prononcer dans une affaire similaire datant de 2014, la cour d’appel d’Aix a créé la surprise, mardi 23 octobre, en faisant le choix, avant de juger, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur la compatibilité de la réglementation française sur le CBD avec le droit européen, moins restrictif. Une manière de sortir du flou juridique qui entoure cette molécule.

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La cour d’appel avait à rejuger Sébastien Beguerie, 34 ans, et Antonin Cohen, 32 ans, deux Marseillais qui, en décembre 2014, avaient lancé « Kanavape », une cigarette électronique au CBD, présentée comme « 100 % légale » car respectant le taux maximum autorisé de 0,2 % de tetrahydrocannabinol (THC), la molécule du cannabis aux effets euphorisants. En janvier, le tribunal correctionnel de Marseille avait condamné les deux hommes à dix-huit et quinze mois de prison avec sursis et à une amende de 10 000 euros pour une série d’infractions, notamment à la législation sur le médicament. Lors de l’audience en appel, le 11 septembre, l’avocat général avait requis leur condamnation à quinze mois de prison avec sursis.

Proximité avec la « plante drogue »

« Kanavape » utilisait en effet une huile au CBD, légalement fabriquée en République tchèque, et ses deux initiateurs se prévalaient des traités et règlements sur la libre circulation des marchandises au sein de l’Union. L’accusation leur opposait un arrêté ministériel du 22 août 1990, modifié en 2004, qui instaure des dérogations à l’exploitation du cannabis en autorisant la culture, l’importation, l’utilisation industrielle et commerciale des variétés de « cannabis Sativa L » à deux conditions : le respect d’un taux de THC inférieur à 0,2 % et l’utilisation uniquement des fibres et des graines. La réglementation européenne, elle, autorise l’usage de la plante entière.

Selon les juges, cet arrêté ministériel – dont le garde des sceaux a recommandé, en juillet, la stricte application – pourrait être incompatible avec le droit européen, « en ce qu’il réduit la libre circulation des produits du chanvre ». Or, analyse l’arrêt que Le Monde a consulté, toute restriction ne peut se justifier que pour un motif de santé publique. Mais, cet objectif « apparaît déjà avoir été pris en considération par cette même réglementation européenne et ne saurait justifier, semble-t-il, une mesure équivalente à une restriction de la libre circulation ». Du fait de sa proximité avec la « plante drogue », l’Union européenne a déjà encadré la culture et la commercialisation du chanvre, notent les juges.

« Camouflet cinglant à la politique répressive actuelle »

Rappelant que l’Organisation mondiale de la santé a, en 2017, recommandé de retirer le CBD de la liste des produits dopants, la cour d’appel considère que « rien ne semble permettre de classer le CBD dans la catégorie des stupéfiants exclus de la liste des marchandises soumises au marché commun ».

Entretien avec Yann Bisiou , spécialiste du droit de la drogue : le CBD, une substance « ni interdite ni autorisée »

Les deux prévenus, dont le sort judiciaire sera fixé une fois parvenue la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne – possiblement d’ici deux ans –, n’ont pas tardé à crier « victoire pour les entrepreneurs du CBD ». « On attend à présent du gouvernement qu’il nous aide à contrôler et à réguler ce marché pour qu’il devienne enfin sain et prospère », estime Sébastien Béguerie. Son avocate, Me Ingrid Metton, voit dans l’arrêt de la cour d’appel « un camouflet cinglant à la politique répressive actuelle qui n’est pas juridiquement fondée », et entend solliciter que les personnes mises en examen pour la commercialisation de produits au CBD bénéficient du statut de témoins assistés.

« Cette décision fragilise la position des institutions françaises, qui clament depuis des mois et des années qu’il n’y a aucun problème avec le droit français du chanvre et du cannabis », analyse Yann Bisiou. Le spécialiste du droit de la drogue à l’université Paul-Valéry de Montpellier estime que « les contraintes imposées aux autres acteurs du chanvre bien-être devraient logiquement être levées en attendant la décision de la CJUE, mais rien n’oblige les magistrats à procéder ainsi ».