La commissaire européenne à la justice, Vera Jourova, lors du débat sur le rôle de Cambridge Analytica au Parlement européen à Strasbourg, le 23 octobre. / FREDERICK FLORIN / AFP

Un peu de George Soros, beaucoup de Brexit et encore plus de Facebook : au Parlement européen, le débat du mardi 23 octobre sur une future résolution concernant le scandale Cambridge Analytica qui a secoué Facebook, a été largement consacré aux soupçons de manipulation électorale au Royaume-Uni. Les deux sujets sont en effet liés. Cambridge Analytica, l’entreprise qui avait utilisé des millions de données personnelles collectées illégalement sur Facebook pour afficher des publicités ciblées aux électeurs, est en effet largement soupçonnée d’avoir aidé la campagne en faveur du « Leave ».

Un grand nombre d’eurodéputés britanniques se sont succédé au Parlement pour débattre du contenu d’une résolution plutôt sévère pour Facebook et qui appelle les Etats membres à prendre plusieurs mesures concrètes. Le texte, présenté par la commissaire Vera Jourova et sur lequel un vote doit avoir lieu ce 25 octobre, préconise notamment « l’interdiction du profilage pour des raisons politiques », mais aussi l’interdiction du « profilage basé sur le comportement en ligne qui peut révéler une orientation politique, par exemple les interactions avec du contenu politique » – concrètement, le fait d’« Aimer » sur Facebook la page d’un parti, voire potentiellement le fait de partager certains articles de presse à teneur politique.

Perturbation du processus démocratique

La résolution préconise également l’interdiction des publicités politiques ciblées : ce qui est le cas en France, mais pas dans d’autres pays de l’Union, et notamment au Royaume-Uni. Or ces publicités ciblées sont utilisées, encore aujourd’hui, et notamment par la frange la plus extrémistes des pro-Brexit. Une commission parlementaire britannique a révélé cette semaine que ces dix derniers mois, une mystérieuse organisation a dépensé des centaines de milliers d’euros pour afficher des publicités Facebook demandant un Brexit « dur » auprès de 10 à 11 millions d’électeurs britanniques.

« Ce week-end, des centaines de milliers de personnes ont manifesté contre le Brexit », s’est réjoui au Parlement l’eurodéputé conservateur Sajjad Karim (anti-Brexit). « Cambridge Analytica a perturbé notre processus démocratique, et continue d’exister sous d’autres formes. [L’ancien vice-premier ministre britannique] Nick Clegg vient de rejoindre Facebook [comme directeur des politiques publiques] : espérons qu’il les guide dans le bon sens », a-t-il déclaré, Nick Clegg étant connu pour ses positions très dures contre le Brexit.

Ce à quoi les parlementaires européens pro-Brexit ont réagi. « Noël est encore loin, mais réjouissez-vous, saint Nicolas Clegg est là ! Il parle quatre langues, il doit pouvoir nous expliquer son hypocrisie dans chacune d’entre elles ! », a ironisé William Legge, comte de Dartmouth et eurodéputé UKIP (pro-Brexit). « Vous critiquez Facebook et Cambridge Analytica, mais ça ne vous pose aucun problème d’accepter l’argent [du milliardaire europhile] George Soros », a renchéri son collègue du UKIP Steven Woolfe.

Cible de très nombreuses critiques venant de tous les côtés, Facebook n’a été défendu, durant le débat, que par les eurodéputés populistes, certains affirmant, comme l’eurodéputé d’extrême droite Jörg Meuthen (AfD), être « bien contents que Facebook soit là pour pouvoir accéder aux informations conservatrices » que « les journalistes, tous de centre gauche » n’aiment pas.

« Combien d’excuses ? »

Au-delà de ses recommandations aux Etats membres, la résolution soumise au vote des eurodéputés regrette aussi en des termes très durs que Facebook « n’ait pas souhaité envoyer des employés ayant le niveau de qualification technique et de responsabilité interne approprié » à ces auditions. Mark Zuckerberg, le PDG de l’entreprise, avait bien accepté de répondre aux questions des eurodéputés en mars, et avait multiplié les excuses pour les « erreurs » commises par son entreprise.

« M. Zuckerberg nous a promis des changements, une sécurité renforcée pour les données personnelles, mais il y a à peine un mois, nous avons appris l’existence d’une nouvelle faille de sécurité », a déclaré le député suédois Jasenko Selimovic (Libéraux). « Combien de nouvelles excuses allons-nous devoir entendre de la part de M. Zuckerberg ? »