La Commission du président Juncker n’avait plus vraiment le choix. Dans l’après-midi de mardi 23 octobre, elle a confirmé une décision sans précédent : elle réclame au gouvernement italien qu’il lui soumette un nouveau budget prévisionnel 2019 après qu’elle a jugé non conforme aux règles du pacte de stabilité et de croissance le projet de loi concocté par l’attelage populiste (Mouvement 5 Etoiles et extrême droite de la Ligue) aux manettes à Rome.

Cette décision questionne la souveraineté d’un des Etats fondateurs de l’Union européenne (UE) et de la troisième économie de la zone euro. Le gouvernement italien a formellement refusé, lundi 22 octobre, de reculer sur ce budget prévisionnel, malgré « une déviation sans précédent » par rapport aux règles du pacte de stabilité et de croissance, dénoncée par Bruxelles, jeudi 18 octobre.

Les règles communes, établies entre tous les Etats membres, ont beau être plutôt souples, le cas italien, aux yeux de la plupart des observateurs, oblige l’institution à réclamer une révision du budget. Si elle n’agit pas, la Commission court en effet le risque de se décrédibiliser complètement.

« Nous regrettons que la Commission soit pour la première fois obligée de demander à un pays de la zone euro de revoir son plan budgétaire, il n’y a pas d’autre option », a déclaré Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, mardi. « Violer les règles communes peut être tentant à première vue, mais à un moment ou à un autre, le poids de la dette nationale est beaucoup trop élevé. En 2017, la dette de l’Italie a atteint 131,2 % du produit intérieur brut (PIB), c’est le deuxième niveau le plus élevé dans l’UE et un des plus élevés au monde. En 2017, cela a représenté 37 000 euros par habitant », a ajouté le politique letton.

Un déficit prévisionnel de 2,4 % du PIB en 2019

Le gouvernement transalpin se déclare prêt, depuis quelques jours, à un « dialogue constructif » avec Bruxelles et ses partenaires. Mais dans les faits, il n’a tenu, pour l’heure, aucun compte des observations formulées. Le « budget du peuple » — pour reprendre l’expression du Mouvement 5 Etoiles — affichera un déficit prévisionnel de 2,4 % du produit intérieur brut (PIB) en 2019, au lieu de 0,8 % promis en juin. Et une détérioration structurelle (creusement du déficit lié à des réformes) de 0,8 % du PIB en 2019, contre un effort structurel attendu de 0,6 % (réductions budgétaires liées à des réformes).

« Nous ne sommes pas face à un cas “borderline” mais face à une déviation claire, nette, assumée et, par certains même, revendiquée », a déclaré Pierre Moscovici, commissaire à l’économie européen. « La Commission ne remet pas en cause les priorités du gouvernement italien, la lutte contre la pauvreté, par exemple. Elle ne va pas interférer en quoi que ce soit avec ses choix politiques internes. Ce qui nous préoccupe, ce sont les conséquences de ce budget pour le peuple. La dette est l’ennemie des peuples et de l’économie. Ce fardeau laisse l’économie italienne à bout de souffle », a ajouté l’ex-ministre des finances français. 

Rome s’est, en revanche, engagée à prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas dépasser ce niveau de déficit, et à le réduire à 2,1 % en 2020, puis à 1,8 % en 2021. Le ministre de l’économie et des finances, Giovanni Tria, qui aura cherché — sans succès — à obtenir que la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles lâchent un peu de lest face à Bruxelles, admettait, dans sa réponse aux instances européennes, qu’il est « conscient » d’enfreindre les règles. Il explique cette décision, « difficile mais nécessaire », par le retard pris par son pays dans le retour au niveau de PIB d’avant le début de la crise financière, ainsi que « les conditions dramatiques dans lesquelles se trouvent les couches de la population les plus désavantagées de la société ».

Assis sur un confortable socle de popularité (environ 60 % d’opinions favorables, un niveau très inhabituel en Italie), le gouvernement Conte semble assuré de sa légitimité et confiant dans sa capacité à résister aux pressions extérieures. La dégradation de la note de la dette italienne de « Baa2 » à « Baa3 » par l’agence Moody’s, vendredi 19 octobre, aura plutôt contribué à calmer les esprits : en effet, celle-ci n’a pas provoqué la tempête que beaucoup craignaient.

Bruxelles veut dédramatiser sa démarche

Pierre Moscovici et Valdis Dombrovskis sont tous deux en première ligne dans l’annonce historique de la Commission. Bruxelles n’a, jusqu’à présent, jamais « retoqué » aucun budget de la zone euro.

Le Français et le Letton partagent une même volonté de dialogue, mais aussi de fermeté, depuis le début de l’épreuve de force avec Rome, à la fin de septembre. Mardi, en direct du Parlement de Strasbourg, où la commission tenait sa réunion du collège, MM. Moscovici et Dombrovskis ont pris soin d’éviter le recours à une rhétorique trop brutale. L’institution veut au maximum dédramatiser sa démarche, afin d’échapper, autant que faire se peut, à l’accusation d’avoir provoqué une crise irréparable par son intransigeance.

Crainte de secousses sur le marché des obligations

Les commissaires craignent également de fortes secousses sur le marché des obligations souveraines, qui pourraient fragiliser des Etats encore convalescents, comme l’Espagne ou le Portugal. Personne n’y a intérêt : les autorités grecques redoutent que leurs banques, encore très fragiles après dix années de crise financière, n’en soient les premières victimes collatérales.

Après la demande bruxelloise de « resoumission » de son budget, l’Italie aura trois semaines, soit jusqu’au 14 novembre, dans le cadre de la procédure dite du « semestre européen », pour revoir sa copie. En cas de refus, une procédure dite de « déficits excessifs », liée à l’énorme dette du pays (environ 132 % de son PIB), pourra être ouverte par l’institution, à tout moment.

« Nos portes ne se ferment pas, cette décision n’est pas la fin de l’histoire, mon mot d’ordre reste le même : nous souhaitons vivement maintenir notre dialogue constructif », a déclaré M. Moscovici mardi.