Editorial du « Monde ». Quiconque s’intéresse à l’histoire des sciences sait combien cette activité est humaine, soumise aux passions, aux rivalités, et que la quête de la connaissance s’accommode parfois de petits arrangements avec les faits bruts, quand il ne s’agit pas de fraude pure et simple.

L’astronome Claude Ptolémée est suspecté d’avoir plagié les mesures du Grec Hipparque, le moine Gregor Mendel soupçonné d’avoir « arrangé » la répartition de ses petits pois pour coller à ses lois de l’hérédité. Vingt ans après sa publication, un article d’Andrew Wakefield dans The Lancet affirmant que le vaccin ROR était responsable de cas d’autisme continue de handicaper la politique vaccinale, alors que ses résultats ont été entièrement « bidonnés » et qu’ils ont fait depuis l’objet de rétractations.

Ces cas restent rares, mais ces inconduites scientifiques ne sont que la forme la plus extrême sur un continuum qui va du simple embellissement des données à leur fabrication pure et simple. Avancement, financement et gloire dépendent de la capacité des équipes à produire rapidement des résultats publiables. Cette économie de la connaissance induit des effets pervers : panurgisme, saucissonnage des résultats, émergence de revues prédatrices et congrès bidons, inconduites scientifiques…

Véritables fraudes

Des sites comme PubPeer, destinés à accueillir des critiques de la littérature scientifique, y compris de façon anonyme, sont honnis par une part des chercheurs, qui y voient un abject instrument de délation. Imparfait, il a pourtant mis au jour de véritables fraudes, et n’existe qu’en raison de l’incapacité de la science à répliquer ses résultats et à s’autocorriger efficacement.

Les institutions scientifiques françaises ne semblent pas avoir totalement tiré les leçons du phénomène. La direction du CNRS, face au « cas Olivier Voinnet », en 2015, pensait en avoir fait un exemple capable d’édifier la communauté : en frappant durement cette star de la biologie végétale partie pour la Suisse, l’organisme public montrait que nul n’était à l’abri.

Mais, pour frapper fort, encore faut-il frapper juste, et avec cohérence : l’enquête de 2015 a été bâclée, les responsabilités individuelles n’ont pas été suffisamment recherchées, pas plus que l’ampleur des atteintes à la science engendrées par ces inconduites. Et, trois ans plus tard, les mêmes arguments retenus contre Olivier Voinnet – sa responsabilité de chef de groupe, l’atteinte à l’image de l’organisme – seront oubliés dans le cas de Catherine Jessus, responsable de la biologie au CNRS. Plusieurs de ses publications sont pourtant, elles aussi, entachées de manipulations d’images, et l’absence de plusieurs données originales ne permet malheureusement pas de conclure.

La biologie est-elle une science si « molle » que ses spécialistes soient incapables de s’accorder sur la gravité des faits ou de dire si, oui ou non, les manipulations ont changé le sens des « découvertes » ? L’Office français de l’intégrité scientifique, tout récemment créé, et le dispositif que le CNRS s’apprête à mettre sur pied changeront-ils la donne ? Il est temps que la recherche française se dote de règles claires et partagées sur les modalités d’enquête et de sanction des inconduites scientifiques. Qu’elle agisse et pèse à l’international sur les conditions de production de connaissances qui « poussent au crime ». Et qu’elle ne s’effraie pas de la publicité et du scandale : ce n’est pas abîmer la science que d’expliquer comment elle se corrige et se rédime.