Le débat sur le port du voile intégral en France n’est pas clos. Dans une recommandation, dévoilée mardi 23 octobre, le comité des droits de l’homme de l’Organisation des nations unies (ONU) estime que la loi de 2010 contre le port du voile intégral a « porté atteinte de manière disproportionnée au droit de deux plaignantes de librement manifester leur religion ». Saisie en 2016 par deux femmes verbalisées parce qu’elles portaient le voile islamique intégral, l’instance demande également à Paris de « compenser » ces dernières et de réviser sa loi de 2010 qui interdit tout vêtement dissimulant le visage dans l’espace public.

Ce comité, qui dépend du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU, n’est pas une juridiction et ses décisions ne s’imposent donc pas à la France en droit. Il a été créé pour s’assurer de la mise en œuvre du pacte de l’ONU sur les droits civils, en vigueur depuis 1976, et dont la France est signataire. Les juristes qui le composent ne jugent pas les affaires dont des particuliers peuvent les saisir, mais font des « constatations » après avoir donné la parole aux différentes parties.

« Une très grande question »

Dans un communiqué de presse, l’instance onusienne stipule que « l’interdiction du niqab viole la liberté de religion (et) les droits humains » des deux musulmanes verbalisées en 2012 et qui ont saisi le comité des droits de l’homme de l’ONU. « Le comité reconnaît que les Etats peuvent exiger des individus qu’ils découvrent leur visage dans des circonstances spécifiques, dans le cadre de contrôles d’identité, mais il a été d’avis que l’interdiction généralisée du niqab était une mesure trop radicale », poursuit le communiqué.

Le président du comité, l’Israélien Yuval Shany, a souligné qu’il considérait personnellement, comme « nombre » des dix-sept autres experts, que le niqab était « une forme d’oppression contre les femmes ». Mais il juge qu’une « interdiction généralisée à caractère pénal ne permet pas d’assurer un équilibre raisonnable entre l’intérêt général et les libertés individuelles ». Le comité a en outre reproché à cette loi de « marginaliser » ces femmes « en les confinant chez elles et en leur fermant l’accès aux services publics ».

En conclusion, il demande à la France de lui envoyer un « rapport de suivi », dans un délai de 180 jours, sur les mesures prises pour « compenser les plaignantes » et « éviter que des cas similaires se reproduisent à l’avenir, y compris en révisant la loi incriminée ».

Dans une interview à l’Agence France-Presse, la Lettone Ilze Brands Kehris, membre de ce comité, a reconnu que le voile islamique était « une très grande question, qui suscite aussi beaucoup d’émotion et de réactions, et donc qui peut être politisée et manipulée ». Mais « ce n’est pas le rôle du comité. Nous, on fait une analyse strictement juridique de la situation », a-t-elle ajouté.

Un avis similaire sur Baby-Loup

Ce même comité d’experts a par ailleurs livré, le 10 août, des « constatations » à l’opposé de ce que la justice française a dit sur la confirmation du licenciement d’une salariée de la crèche Baby-Loup qui souhaitait porter un voile à l’intérieur de l’établissement. Suite à cet avis, la Cour de cassation a dit qu’elle allait tenir compte de cette interprétation divergente du droit.

Contrairement aux conclusions de ce comité de l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme a, elle, validé à deux reprises, en 2014 et en 2017, l’interdiction du voile intégral en France et en Belgique.