Aucun rebondissement procédural n’aura été épargné dans l’affaire Grégory, du nom de cet enfant de 4 ans retrouvé mort, pieds et poings liés dans la Vologne (Vosges), le 16 octobre 1984. Trente-quatre ans plus tard, le Conseil constitutionnel s’est penché, mardi 23 octobre, sur la garde à vue du 2 novembre 1984 au cours de laquelle Murielle Bolle, alors âgée de 15 ans, avait mis en cause son beau-frère, Bernard Laroche.

Que viennent faire les exégètes de la Constitution dans cette énigme criminelle ? Ils ont été saisis par les avocats de la Murielle Bolle de 2018 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), cette procédure qui permet à tout justiciable de demander de vérifier la conformité à la Loi fondamentale d’une loi qui lui est opposée.

« Anachronisme »

Pour Emmanuel Piwnica, son avocat, la garde à vue de 1984 doit être annulée car l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs ne prévoyait aucune garantie. « Une enfant a répété à l’envi aux gendarmes ce qu’ils voulaient entendre », mais ils ne lui « ont pas dit qu’elle pouvait se taire, elle n’a pas eu d’avocat pour l’assister et ses parents n’étaient pas présents ». Ces garanties ont été introduites depuis par le législateur dans l’ordonnance de 1945.

« Comme oser prétendre que les droits d’un enfant en 1984 seraient différents de ceux d’un enfant d’aujourd’hui ? Comment prétendre que la Déclaration des droits de l’homme de 1789 n’était pas applicable l’époque », a interrogé l’avocat.

L’avocate des Villemin, les parents de Grégory, a mis en garde contre « une erreur de parallaxe et un anachronisme ». Claire Waquet a interpellé les membres du Conseil : « On vous demande de dire qu’un acte de 1984 et la loi d’alors ne sont pas conformes à la Constitution parce que maintenant, en 2018, nous pensons autre chose. (…) Vous ne pouvez pas vous extraire du fait qu’en trente-quatre ans notre vision de la Constitution a changé. »

Position différente

Le représentant du gouvernement qui a l’habitude de défendre la constitutionnalité des lois attaquées devant l’institution présidée par Laurent Fabius a pris cette fois une position différente… qui arriverait au même résultat. Philippe Blanc n’a pas défendu l’indéfendable puisque la garde à vue sans avocat a été déclarée non conforme en 2010. Mais il a demandé au Conseil constitutionnel de ne pas annuler l’acte de 1984 en rappelant qu’il s’agissait de rechercher les auteurs d’une infraction, « un objectif à valeur constitutionnelle ».

La décision sur cette QPC, prévue pour le 16 novembre, va-t-elle bouleverser l’enquête relancée en 2017 sur l’affaire Grégory ? Une annulation de la garde à vue de 1984, et donc des procès-verbaux d’audition de Murielle Bolle, fragiliserait l’accusation à son encontre. Elle avait été mise en examen en juin 2017 ainsi que les époux Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, en raison des soupçons sur leur participation au rapt de l’enfant.

Ces trois mises en examen ont été annulées pour des vices de procédure en mai 2018, mais le parquet général devrait de nouveau les demander en se fondant sur les éléments de l’enquête de 2017 et non sur les déclarations de la jeune Murielle de 1984.

Comprendre l'affaire Grégory en 4 minutes
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