Un avion du raid Latécoère-Aéropostale au-dessus du Maroc, en octobre 2018. / Julien Masson

Située à environ 200 km des côtes, Marrakech n’était pas une escale proprement dite sur la route de l’Aéropostale, contrairement à Rabat, Casablanca ou Cap Juby. Mais l’ancienne cité impériale a joué un rôle important dans le développement de la ligne aérienne. En 1922, soit quatre ans après son premier vol Paris-Dakar, Pierre-Georges Latécoère s’y rend pour obtenir une audience auprès du maréchal Lyautey, résident général du protectorat de 1912 à 1925, et évoquer l’insécurité créée par les tribus maures dans le sud du Maroc et l’instabilité de la zone.

Les deux hommes se connaissent bien. Ils se sont déjà rencontrés en mars 1919, lorsque l’avionneur a atterri à Rabat pour remettre au représentant de la France un journal daté de la veille et lui prouver ainsi la rapidité et la fiabilité de ses avions. Il a également offert à son épouse un bouquet de fleurs cueillies quarante-huit heures plus tôt : « Elles viennent de ma ville madame… Ce sont des violettes de Toulouse ! » L’avion emportait également un sac de courrier.

Présentation de notre série : Dans le sillage de l’Aéropostale

Après avoir décollé de Casablanca, le DR-400 du raid Latécoère-Aéropostale dans lequel Le Monde Afrique a embarqué file plein sud vers Marrakech. A une altitude de 5 500 pieds (environ 1 800 mètres), il survole des champs à perte de vue puis le barrage d’Imfout, d’une superficie de 27 000 km², sur l’Oum Errabia, le deuxième fleuve marocain par sa longueur, dont le bassin est devenu la clé de voûte du réseau hydroélectrique et d’irrigation du pays.

L’avion survole ensuite une étonnante terre de couleur rouge qui donne au paysage des allures martiennes. En douceur, il se pose sur le tarmac de l’aéroport international de Marrakech, juste devant un avion de ligne de la compagnie Iberia. Dans un coin assez discret de l’aéroport, un Boeing 747 retient l’attention. Son fuselage est impeccable et il est protégé de toute intrusion par des plots et quelques hommes en armes. Le roi Mohammed VI fait lui aussi escale à Marrakech.

Le moment que tous les pilotes attendent

Faire voler une flotte de cinquante avions vers une même destination ne s’improvise pas. Le raid Latécoère est orchestré par une organisation qui ne laisse rien au hasard. Cessna, Piper, Robin, Broussard, Beechcraft, plus deux ULM, sont répartis en quatre vagues (Alpha, Bravo, Charly et Delta) d’une dizaine d’avions chacune en fonction de leurs performances aéronautiques : vitesse, consommation de carburant…

A cause des turbulences de sillage et afin que tous les avions n’arrivent pas au même moment en phase d’atterrissage, ils décollent à deux minutes d’intervalle. Entre chaque vague, on laisse aussi s’écouler un quart d’heure. Il est toutefois un paramètre qu’il est impossible d’anticiper : la présence des « liners », les avions de ligne des compagnies aériennes. Ils sont prioritaires et il faut, sous peine d’être brassé par de dangereuses turbulences, laisser s’écouler environ cinq minutes après leur passage.

Tous les soirs a lieu le briefing, animé par Hervé Berardi, le patron du raid, et Thierry Roz, le responsable de l’organisation. L’ordre des vagues du lendemain est annoncé, ainsi que des indications sur les trajectoires verticales (les altitudes de vol) et horizontales (le tracé de la route jusqu’à destination). Des consignes de navigation (utilisation des fréquences de radio) sont également fournies. Chaque pilote doit ensuite envoyer son plan de vol, qui sera transmis aux aéroports de départ, d’arrivée et aux éventuelles escales du parcours. Mais les connexions sont parfois hésitantes, le WiFi sature vite et les logiciels nécessaires à l’envoi des plans de vol tombent parfois en rade. « Mermoz ne s’emmerdait pas avec tous ces fichiers », souffle un participant à son voisin, air dépité et ordinateur portable sur les genoux.

Ce soir à Marrakech, le briefing est plus long que d’habitude. L’étape du lendemain prévoit un vol jusqu’à Cap Juby avec un « refueling » à Tan-Tan et un atterrissage sur une piste en terre assez courte de 730 mètres. Dans l’axe de la piste, qui est ouverte une fois par an pour le passage du raid Latécoère, il y a deux antennes de télécommunication. « Soyez très vigilants et ne vous laissez pas surprendre, explique Hervé Berardi. Il y aura du monde sur la piste et aux abords et il n’y a évidemment pas de tour de contrôle… Une fois au sol, dégagez le plus vite possible pour laisser la place à ceux qui viennent derrière. » Cet atterrissage à Cap Juby est un moment mythique. C’est le moment que tous les pilotes attendent. Tous les pionniers de l’Aéropostale se sont posés sur ce bout de terre balayé par les vents et les embruns, entre la ville de Tarfaya et l’océan.

« On vit une leçon d’histoire en direct »

Mohamed-Salah El Khadiri, qui a passé son permis de pilote privé en 2014, a déjà vécu un atterrissage très émouvant aujourd’hui à Marrakech. « C’est ma ville natale et j’en avais les larmes aux yeux », raconte ce patron d’une PME francilienne spécialisée dans l’électricité, qui participe à son deuxième raid en compagnie de son épouse, Zulfiye : « Lorsqu’on atterrit à bord d’un avion de ligne, on ne voit rien de la ville. Aujourd’hui, j’ai reconnu le quartier où j’ai grandi, où ma mère vit encore… En faisant ce raid, j’ai l’impression de faire une soudure entre le Nord et le Sud, d’être un lien. Je suis un passionné d’aviation et de l’Aéropostale. Vol de nuit, de Saint-Exupery, est mon livre de chevet. »

Bertrand Marbach-Wurms, responsable logistique, participe au raid Latécoère avec sa femme et ses deux enfants, adolescents. « Je voulais faire vivre à ma famille une aventure humaine, explique celui qui pilote un vieux Beechcraft Bonanza. Je souhaitais aussi responsabiliser mes enfants sur différentes thématiques liées au voyage, à l’Afrique, et les ouvrir au monde. Ce raid est une manière de leur montrer le champ du possible. En commémorant le centenaire de l’Aéropostale, on vit une leçon d’histoire en direct. »

Une nuit dense et épaisse est tombée sur Marrakech. Dans le labyrinthe que constitue le souk de la médina, les vendeurs négocient âprement les vases, les épices, les théières et les poteries… Sur la place Jemaa el-Fna, les lampes en fer forgé éclairent le sol et les passants circulent entre les vendeurs ambulants. Mais où sont passés les charmeurs de serpent ?

Dans le sillage de l’Aéropostale : sommaire de notre série

Un siècle après le lancement de la célèbre ligne aérienne, le journaliste du Monde Afrique Pierre Lepidi a embarqué à bord d’un avion du raid Latécoère, qui, du 27 septembre au 5 octobre, a relié Toulouse à Dakar.

Présentation De Toulouse à Dakar, dans le sillage de l’Aéropostale

Episode 1 « Toulouse-Dakar à bord d’un Broussard, c’est le rêve d’une vie »

Episode 2 Quand Jean Mermoz bronzait à Barcelone entre deux vols

Episode 3 De l’Espagne au Maroc, l’impression de survoler un cimetière en pleine mer

Episode 4 « En atterrissant à Marrakech, j’ai reconnu le quartier où j’ai grandi »