« People That Are Not Me », un film de et avec Hadas Ben Aroya. / WAYNA PITCH

LES CHOIX DE LA MATINALE

Un programme éclectique vous attend pour cette première semaine de vacances avec un ballet aquatique déjanté pour hommes malmenés par la vie, un Bonnie and Clyde en terre kazakhe, une tragi-comédie de la quête sentimentale, et le témoignage bouleversant et glaçant de rescapés de camps de travaux forcés en Chine.

« Le Grand Bain » : quand les noyés de la vie se synchronisent

LE GRAND BAIN – Bande annonce officielle – Gilles Lellouche (2018)
Durée : 02:06

Trop rares sont les comédies populaires françaises qui ne courent pas au succès – qui peut d’ailleurs se révéler un insuccès – en appliquant une formule resucée. Ce sont peut-être ses points communs avec The Full Monty (1997), de Peter Cattaneo, qui faisait s’effeuiller ses chômeurs-strip-teaseurs sur fond de démantèlement métallurgique et de libéralisme thatchérien, qui donnent à Grand Bain ce petit goût excentrique, collectif et absurde qui lui va si bien. Renouant avec une vocation de réalisateur plutôt sporadique et jusqu’ici à moitié assumée (Narco, avec Tristan Aurouet, 2004 ; Les Infidèles, avec Jean Dujardin, 2012), l’acteur Gilles Lellouche convoque pour ce faire un imposant aréopage de virilités malmenées par la vie, parsème son récit de rôles féminins par contraste bien trempés, pour ne pas dire sévèrement burnés, et jette tout ce petit monde dans l’eau du bain pour signer une comédie chorale joyeusement mélancolique, décroissante, tendre et décalée. Jacques Mandelbaum

Film français de Gilles Lellouche. Avec Virginie Efira, Marina Foïs, Leïla Bekhti, Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Philippe Katerine, Félix Moati, Balasingham Thamilchelvan (1 h 58).

« People That Are Not Me » : Joy, post-ado de 30 ans, désespère des hommes

PEOPLE THAT ARE NOT ME Bande Annonce (2018) Drame, Romance
Durée : 01:12

Tout plaide – dès le premier plan – pour un film générationnel. Une fille en pleurs, dans un appartement de post-adolescente, à moitié nue devant son ordinateur, envoie un message comme une bouteille à la mer au garçon dont on suppose qu’il vient de la laisser tomber. Extension informatique de soi-même, précarité et insatisfaction sociale, errance affective, ordalie sexuelle. Ou égotisme généralisé, tout le monde se parlant à soi-même alors même qu’il s’adresse à l’autre. People That Are Not Me, comme le titre le dit si bien. Ça fait effectivement du monde. Joy, jeune Israélienne d’à vue de nez 30 ans, représente ici un type sociologique occidental, féministe. La réalisatrice Hadas Ben Aroya, qui a bricolé ce premier long-métrage pour la fin de ses études, compose et interprète ce personnage avec un culot, un charme et un talent tout à fait remarquables. J. M.

Film israélien d’Hadas Ben Aroya. Avec Hadas Ben Aroya, Yonatan Bar-Or, Netzer Charitt, Meir Toledano, Hagar Enosh (1 h 20).

« Les Ames mortes » : retour glaçant sur les camps de concentration maoïstes

LES AMES MORTES - Partie 1 Bande Annonce (2018) Documentaire
Durée : 01:57

Tourné sur plus de dix ans et présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, ce documentaire s’inscrit dans une démarche démystificatrice des purges antidroitistes de 1957 dont les victimes furent envoyées de force au laogai (« camp de rééducation par le travail »). Du haut de ses 8 heures 15, réparties en trois séances, le film pourrait sembler un monolithe surplombant s’il n’était en fait une course contre la montre, recueillant le plus de témoignages possible auprès des rescapés, afin de constituer une batterie de faits opposables aux versions officielles d’une histoire en voie d’être définitivement réécrite.

Les Ames mortes s’intéresse plus particulièrement à un lieu de sinistre mémoire : la ferme de Jianbiangou, proche du désert de Badain Jaran, où près de 2 500 prisonniers politiques (sur 3 000 internés) ont trouvé la mort entre 1957 et 1961. Devant la caméra de Wang Bing se succèdent les survivants de ce camp infernal, aujourd’hui des vieillards retirés, qui reviennent in extenso sur cette séquence historique et l’éclairent au jour des expériences individuelles – cette lumière tant redoutée (et pour cause) par les grands récits collectivistes. Mathieu Macheret

Documentaire français et suisse de Wang Bing (8 h 15).

« La Tendre Indifférence du monde » : cavale amoureuse dans la jungle kazakhe

LA TENDRE INDIFFÉRENCE DU MONDE Bande Annonce (2018)
Durée : 01:54

Saltanat, jeune femme d’une grande beauté – incarnée par Dinara Baktybayeva, star de films commerciaux au Kazakhstan –, doit quitter sa maison et les champs de son enfance pour éponger les dettes de son père défunt. Elle est promise à un mariage avec un homme d’affaires. Sa mère n’est pas tendre et l’envoie pour ainsi dire à l’abattoir. Saltanat peut toutefois compter sur son ami de toujours, Kuandyk (Kuandyk Dussenbaev), amoureux transi, plus délicat que maladroit : il décide de l’accompagner en ville et de veiller sur elle. Mais peut-on gagner de l’argent dans ce pays sans trahir, sans mettre soi-même un pied dans l’engrenage mafieux ? La Tendre Indifférence du monde, du cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov, marque par sa beauté visuelle, son épure bressonienne, son tandem de comédiens qui se lance sur la route tels Roméo et Juliette, et la termine façon Bonnie and Clyde. Clarisse Fabre

Film kazakh et français d’Adilkhan Yerzhanov. Avec Dinara Baktybayeva, Kuandyk Dussenbaev (1 h 39).