Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz (à gauche), et le roi d’Arabie saoudite, Salman Ben Abdelaziz (centre), à Riyad, le 24 janvier 2015. / YOAN VALAT / AFP

Chronique. Nouakchott est un fidèle allié de l’Arabie saoudite. A cinq jours d’intervalle, la diplomatie mauritanienne a publié des communiqués très proches des positions saoudiennes sur l’affaire Khashoggi, du nom de ce journaliste disparu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre.

Lundi 15 octobre, elle dénonçait « la campagne d’allégations fallacieuses qui ne sert ni la transparence de l’enquête en cours ni sa crédibilité », en référence aux images distillées par la Turquie pour prouver que le journaliste n’était jamais sorti vivant du consulat. A l’époque du communiqué mauritanien, l’Arabie saoudite soutenait que ses services n’avaient pas porté atteinte à l’intégrité physique du journaliste.

Puis, le 20 octobre, soit le lendemain de la reconnaissance par Riyad de son implication dans la disparition de Jamal Khashoggi, un autre communiqué du ministère était transmis par l’Agence mauritanienne d’information (AMI), dans lequel Nouakchott se disait confiant « en la justice saoudienne, en sa capacité et en sa volonté de parvenir à dévoiler toutes les circonstances qui ont entouré l’incident et à punir ceux qui l’ont mené ».

Depuis l’arrivée du président Mohamed Ould Abdelaziz, la diplomatie mauritanienne est souvent alignée sur les positions de Riyad. En juin 2017, Nouakchott avait déjà été l’un des fers de lance de la stratégie contre le Qatar, suivant ainsi l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui avaient engagé un blocus contre l’émirat gazier, mettant en avant son supposé financement du terrorisme et sa relation avec l’Iran. Mohamed Ould Abdelaziz avait alors rappelé son ambassadeur à Doha et avait agi, de concert avec son homologue tchadien Idriss Déby, pour convaincre certains de ses homologues africains de le suivre dans cette démarche.

En août, Nouakchott a aussi vigoureusement soutenu Riyad lors de sa brouille avec le Canada, après que ce dernier a critiqué le manque de respect des droits humains dans le royaume. Ce tropisme s’est renforcé avec l’arrivée en juin du nouveau ministre mauritanien des affaires étrangères, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed. Ce dernier était jusqu’en février le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Yémen, où il a eu l’occasion de côtoyer de près les autorités saoudiennes pendant trois ans.

« Un Etat de valeurs, de principes et de justice »

Les intérêts saoudiens en Mauritanie sont importants, notamment dans le financement de projets via le Fonds saoudien pour le développement, mais ce n’est pas le seul pays africain à avoir adopté une dialectique tout en retenue sur la responsabilité saoudienne dans la disparition du journaliste. Outre une prise de position très pro-saoudienne de la part du Soudan du Sud, pourtant généralement peu disert sur les dossiers internationaux, Djibouti a publié un communiqué, le 22 octobre, dans des termes proches de ceux de la Mauritanie :

« La République de Djibouti félicite le gardien des deux saintes mosquées, le roi Salman Ben Abdelaziz, pour son vif intérêt et son étroit appui qui a permis d’aboutir, de manière transparente et objective, à l’enquête sur les faits relatifs au décès du journaliste saoudien. Il s’agissait pour le dirigeant saoudien d’instaurer par ce biais une justice équitable dans cette affaire. A cet égard, la diplomatie djiboutienne se félicite des résultats des enquêtes menées par le royaume d’Arabie saoudite ainsi que des décisions qu’il a prises pour poursuivre légalement les responsables de cet incident. Ce grand pays restera un Etat de valeurs, de principes et de justice. »

Comme la Mauritanie, Djibouti a réduit sa présence diplomatique au Qatar lors de la crise avec l’Arabie saoudite. La Turquie, qui utilise l’affaire Khashoggi avec habileté dans sa relation avec Riyad, se trouve d’ailleurs être le principal soutien politique et militaire du Qatar.

Alors que la position stratégique de son port est fragilisée par le rapprochement entre l’Ethiopie, l’Erythrée et le Somaliland, Djibouti a besoin de conforter sa bonne relation avec l’Arabie saoudite, qui utilise son territoire pour sa guerre au Yémen et veut y investir massivement.

L’Arabie saoudite sait influencer certains Etats africains lorsqu’elle a besoin de leur soutien officiel. L’ambassadeur saoudien accrédité dans une capitale rencontre souvent le président et parfois le ministre des affaires étrangères. En cas de nécessité, le diplomate est parfois épaulé par des missi dominici – souvent des vice-ministres – envoyés depuis Riyad pour exercer une pression maximale. C’était le cas notamment au sujet du conflit avec le Qatar.

Issoufou et Déby préfèrent ne rien dire

Deux autres Etats africains réputés très proches de l’Arabie saoudite, le Niger et le Tchad, n’ont en revanche pas communiqué officiellement sur l’affaire Khashoggi. Malgré la pression de Riyad, Mahamadou Issoufou et Idriss Déby sont sur cette affaire plus soucieux de coller à l’opinion des grandes puissances occidentales qui ont appelé l’Arabie saoudite à s’expliquer – à l’exception de Donald Trump, qui a adopté une communication changeante. Les deux présidents sahéliens préfèrent donc ne rien dire.

La plupart des autres pays africains ayant subi une pression de la part de l’Arabie saoudite, dans le conflit avec le Qatar comme sur le dossier Khashoggi, n’ont pas souhaité prendre fait et cause pour le royaume. Si Riyad a mis les moyens pour emporter l’adhésion du Nigeria, le pays africain à la plus forte population sunnite, Abuja n’a pas pris parti, considérant qu’il n’a pas à s’immiscer dans des dossiers concernant la région du Golfe. Le Mali et le Burkina ont également été sollicités mais n’ont pas pris position.

Enfin, le Gabon, qui s’était pourtant prononcé pour l’Arabie saoudite dans son conflit avec le Qatar, n’a cette fois pas encore émis une quelconque position officielle. Cependant, le président Ali Bongo, comme le Sénégalais Macky Sall, s’est rendu au sommet Future Investment Initiative, organisé du 22 au 25 octobre à Riyad à l’initiative du prince hériter Mohammed Ben Salman. L’Afrique du Sud s’est quant à elle dite inquiète de cette disparition, appelant à une enquête.

Benjamin Augé est chercheur associé au centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI).