Xi Jinping et Shinzo Abe à Vladivostok, le 12 septembre. / KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Pour la première fois depuis sept ans, un premier ministre japonais se rend en Chine. Quatre décennies après la visite historique au Japon du père de la modernisation chinoise, Deng Xiaoping, qui avait signé un traité d’amitié entre les deux pays, la visite en Chine, du 25 au 27 octobre, du chef de gouvernement japonais, Shinzo Abe, devrait confirmer un renforcement de la coopération économique bilatérale, tout en mettant de côté les questions, nombreuses et sensibles, touchant à la géopolitique. Rivaux sur bien des sujets – entre-temps, la Chine a dépassé le Japon et est devenue la deuxième puissance économique mondiale –, les deux pays partagent une même inquiétude quant à la pression commerciale des Etats-Unis.

Mécontent des déficits avec les deuxième et troisième économies du monde, Donald Trump mène une véritable guerre commerciale à la Chine et pousse le Japon à signer un accord de libre-échange avec son pays. Le 17 octobre, le département américain du Trésor a officiellement placé le Japon et la Chine parmi les six pays à surveiller, car soupçonnés de manipulations de leurs devises.

Echanges sans chaleur

Résultat : la croissance chinoise n’a pas dépassé 6,5 % entre juillet et septembre, son niveau le plus bas depuis plus de neuf ans, et les exportations nippones ont reculé de 1,2 % en septembre, une première depuis vingt-deux mois. « Dans un contexte d’escalade avec les Etats-Unis, il est devenu primordial pour la Chine de renforcer les liens économiques avec le Japon », estime Noriyuki Kawamura, spécialiste des relations sino-japonaises à l’Université de Nagoya. « Les frictions commerciales causées par les Etats-Unis ont mis en évidence la nécessité pour les deux pays d’élargir leur coopération économique bilatérale », confirme dans le Global Times Zhou Yongsheng, professeur à l’Université des affaires internationales à Pékin.

Tous deux arrivés au pouvoir à l’hiver 2012-2013, Shinzo Abe et le président chinois, Xi Jinping, ne se sont jusqu’ici rencontrés qu’en marge de sommets divers, le plus souvent pour des échanges sans chaleur.

Même si la Chine est le premier partenaire commercial du Japon, la relation pâtissait des tensions autour des îlots nommés Senkaku côté japonais et Diaoyu côté chinois, administrés par Tokyo mais revendiqués par Pékin et Taipei, du nationalisme teinté de révisionnisme de M. Abe et de sa politique proaméricaine et de promotion d’un axe indopacifique destiné à contenir la Chine, ou encore de la montée en puissance militaire de la Chine.

La question des sanctions contre Pyongyang

Le sommet de Pékin doit servir, estime le porte-parole du gouvernement nippon, Yoshihide Suga, à « franchir une nouvelle étape dans les relations sino-japonaises », voire à relancer le principe de sommets annuels, en place avant 2011. A l’issue de cette visite, le réchauffement des relations sera jugé à l’aune de deux symboles : l’annonce possible par Xi Jinping d’une prochaine visite à Tokyo et l’envoi ou non d’un panda chinois dans un zoo japonais.

La question de la dénucléarisation de la Corée du Nord sera abordée, et avec elle celle des sanctions imposées à Pyongyang. Tokyo les appuie ; Pékin souhaite leur allégement, pour récompenser les premiers gestes nord-coréens. Mais M. Abe insiste, comme les Européens, sur la nécessité d’une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible. Il exige par ailleurs des éclaircissements sur le sort de Japonais enlevés par Pyongyang dans les années 1970-1980. Les tensions autour des Senkaku-Diaoyu seront également au menu.

L’essentiel des échanges devrait toutefois porter sur l’économie. M. Abe, qui a fait le déplacement avec plus de cinq cents chefs d’entreprise, pourrait aussi rompre avec ses réticences passées en ouvrant la voie à des coopérations dans le cadre de l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie – face à laquelle le Japon s’était initialement montré très réticent. Un forum sino-japonais sur les marchés tiers, notamment en Thaïlande, est prévu pendant cette visite. Au total, une cinquantaine d’accords de coopération devraient être signés.

MM. Xi et Abe pourraient également mettre en place un accord « swap » de devises d’une valeur proche de 200 milliards de yuans. « Il s’agirait d’aider les entreprises chinoises et japonaises à gérer les risques représentés par les initiatives protectionnistes des Etats-Unis », explique au quotidien Global Times Chen Zilei, directeur du Centre de recherche sur l’économie japonaise à l’Université de Shanghaï.

Initiatives limitées

Pour Jean-Pierre Cabestan, sinologue français à l’université baptiste de Hongkong, « la Chine, attaquée par les Etats-Unis, est en train de se rapprocher de deux de ses rivaux : le Japon et l’Inde. Mais il va être difficile pour Pékin et Tokyo, concurrents en Asie, de réellement coopérer au-delà des discours politiques. Et les deux pays restent divisés sur la question fondamentale de la présence des Etats-Unis dans le Pacifique, ainsi que sur l’avenir de Taïwan, un sujet très sensible pour Pékin, mais aussi pour Tokyo ».

Les initiatives de M. Abe resteront limitées. Au Japon, le cœur de son électorat est notoirement hostile à la Chine. Considérant son attachement à l’alliance militaire avec les Etats-Unis et son choix de ménager Donald Trump, il ne peut pas trop s’avancer dans la coopération avec Pékin.

Cet article est le premier de Frédéric Lemaître en tant que correspondant à Pékin