Il aura suffi d’une petite tempête sur Twitter pour que l’Etat recule sur la manière dont les recettes du Loto du patrimoine seront partagées. Cette opération, promue par l’animateur Stéphane Bern et destinée à financer la rénovation du « patrimoine en péril », a permis de récolter 200 millions d’euros. L’Etat qui devait percevoir 14 millions de taxes, vient de décider de reverser la totalité de cette somme à la Fondation du patrimoine et même de l’abonder à hauteur de 6 millions supplémentaires. Au 20 millions d’euros que la Fondation devait toucher s’ajouteront donc 20 millions d’euros, selon Bercy. « Une bonne nouvelle pour le patrimoine », se réjouit Stéphane Bern auprès du Monde.

De fait, il vient de faire plier le ministère des comptes publics. Depuis lundi 22 octobre, il s’opposait à Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Ce jour-là, M. Darmanin, qui défendait le budget 2019 à l’Assemblée nationale avait déclaré : « Ce loto crée, comme tous les autres, des taxes qui sortent des recettes [du jeu]. Les taxes sont touchées par l’Etat. » Cette petite phrase avait déclenché une polémique, l’Etat se retrouvant accusé de se faire de l’argent sur le loto du patrimoine.

« Surpris et choqué »

Les membres de l’association qui a entrepris la rénovation du château de Meauce, dans la Nièvre, se disent, par exemple, « surpris et choqués d’apprendre que les taxes ne seront pas reversées à la mission Bern ». « Nous nous excusons auprès de tous ceux à qui nous avons dit que 100 % des taxes seraient pour le patrimoine », ajoutent-ils. Stéphane Bern, lui-même, prend part à la discussion : « La loi de finances donne raison » à M. Darmanin, confie-t-il, mardi 23 octobre, au Parisien, « mais, moralement, je lui demande de renoncer à ces taxes ».

Passablement agacé de la tournure que prennent les choses, Gérald Darmanin répond quelques heures plus tard sur Twitter : « Stop aux #fakenews », écrit-il. Sur les 200 millions d’euros de recettes du Loto du patrimoine, selon lui, l’essentiel ira aux joueurs (144 millions), loin devant la Française des jeux (FDJ, 22 millions), la Fondation du patrimoine (20 millions) et l’Etat, qui percevra 14 millions d’euros de taxes dans l’opération.

Ce à quoi l’animateur-promoteur a immédiatement répondu, toujours sur le réseau social :

« Une goutte d’eau pour l’Etat qui représente tant pour le patrimoine. Ne pourriez-vous faire un geste et renoncer à ce prélèvement pour que tout soit destiné à sauver le patrimoine en péril qui, de toute façon, est à la charge de l’Etat ? »

L’agacement est à son comble. Mercredi soir, dans l’émission « Le Débat » sur LCI, Olivia Grégoire, députée La République en marche de Paris, remet Stéphane Bern à sa place : « Il est un peu culotté de dire que l’on découvre les règles du jeu, alors qu’elles sont écrites depuis le début. Stéphane Bern sait très bien que c’est 10 % de cette masse financière qui ira sauver notre patrimoine. Que cela ne soit pas suffisant, j’entends. Que les règles aient évolué, ça n’est pas vrai. » Outrée, Arlette Chabot, qui présente l’émission, sort de ses gonds : « Vive Stéphane Bern et à bas le ras-le-bol fiscal ! », lance-t-elle après s’en être pris à Gérald Darmanin.

« C’est dans la loi »

Mercredi, pourtant, Bercy tenait bon : « Moralement, cela ne serait pas juste de reprocher à l’Etat de ne pas avoir fait un geste fiscal, alors qu’il renonce à l’intégralité de sa part hors TVA. Et s’il le fait, c’est pour la Fondation du patrimoine, qui récupère ce à quoi l’Etat renonce. L’Etat a aussi fait en sorte que les gains des joueurs soient importants, parce que c’était la condition de l’attractivité de l’opération. » D’ailleurs, fait-on remarquer de même source, les tickets vendus 15 euros indiquent bien, à côté de la photo de Stéphane Bern, que seul 1,52 euro sera reversé à la Fondation du patrimoine.

Pour un jeu du même type, l’Etat perçoit normalement 17 % de taxes. Sur cette part, dix points lui reviennent en propre. C’est à cela qu’il renonce. Et il ne peut aller au-delà : « C’est dans la loi, indique-t-on à Bercy, on ne peut pas prélever moins de 7 %. »

L’obstination de Stéphane Bern a cependant payé. Il a su mobiliser les relais puissants dont il dispose au plus haut niveau de l’Etat. Les taxes sont réglementaires. Elles demeureront donc. Mais elles seront donc compensées. L’histoire en dit long, en tout cas, sur l’effroi que le ras-le-bol fiscal provoque à l’Elysée.