La ministre des affaires européennes, Nathalie Loiseau, explique les raisons pour lesquelles le gouvernement a souhaité que soient organisées jusqu’à la fin du mois d’octobre, dans les pays de l’Union, des consultations citoyennes sur l’Europe.

  • La crise entre Bruxelles et l’Italie

« Ce n’est pas la France qui va donner des leçons sur le budget ! », a réagi Nathalie Loiseau après la décision de Bruxelles de rejeter le projet de budget italien au motif que les dépenses et les baisses d’impôts voulues par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S) sont incompatibles avec les règles du pacte de stabilité. « Je n’ai pas la mémoire courte, je me souviens des accommodements que, pendant des années, la France a pris avec les engagements qu’elle avait elle-même dessinés », a poursuivi la ministre en souhaitant, « comme le gouvernement Conte, que l’Italie renoue avec la croissance et voie son chômage reculer ». Car « après des années de crise profonde, une partie du vote des Italiens en mars 2018 a consisté à dire basta cosi, ça suffit ! ». Mais pour Nathalie Loiseau, l’argument démocratique invoqué par Rome est discutable : « Le gouvernement italien affirme vouloir satisfaire les demandes des électeurs, mais la Ligue et le M5S se sont combattus pendant la campagne. Ils n’ont jamais dit qu’ils allaient travailler ensemble. La première défendait la flat tax et l’amnistie fiscale, le second voulait le revenu universel et la fin de la réforme des retraites. Ceux qui ont voté pour eux ne pensaient pas que ces mesures s’additionneraient. Or l’addition des deux donne un budget qui n’est pas soutenable. » Rappelant que la dette italienne « représente 131 % de la richesse nationale, ce qui est considérable et dangereux », Nathalie Loiseau a souhaité « un dialogue approfondi entre les autorités italiennes et la Commission », en fustigeant l’attitude du député européen de la Ligue qui « a cru bon d’essuyer ses chaussures sur les notes de M. Moscovici à Strasbourg. Ce n’est pas une attitude de parti de gouvernement ». Selon elle, « la zone euro est plus solide que ce qu’on imagine », et pourtant « insuffisamment préparée à une nouvelle crise. Nous avons l’union bancaire et nous devons la finaliser. Nous devons renforcer le mécanisme européen de stabilité qui n’est pas suffisamment réactif en cas de crise ».

  • Le Brexit

« Tout a été exploré d’un point de vue technique. C’est à Theresa May de savoir comment elle manie son gouvernement et sa majorité », a déclaré Nathalie Loiseau, alors que le Conseil européen de Bruxelles s’est soldé la semaine dernière par un nouvel échec. La ministre a dit espérer un « accord complet d’ici à la fin de l’année 2018 », sans exclure totalement un Brexit dur le 30 mars prochain. « Si nous ne faisons rien, les 200 000 à 300 000 Britanniques qui vivent en France seraient sans papiers du jour au lendemain. Un camion britannique ne pourrait plus rouler en France. Un Eurostar ne pourrait plus circuler en France avec un conducteur britannique. Ce n’est pas ce que nous souhaitons, ce n’est pas ce qui se passera, mais cela s’anticipe », a-t-elle déclaré, en rappelant qu’un projet de loi d’habilitation permettra au gouvernement français d’adopter par ordonnances un certain nombre de dispositions législatives. Selon elle, le Brexit est « une négociation perdant-perdants. Personne n’y gagnera, mais toutes les études vont dans le même sens : quelle que soit la forme de la séparation, le Royaume-Uni sera le pays le plus impacté. La préparation du Brexit lui coûte déjà 500 millions d’euros par semaine, alors que certains promettaient un retour hebdomadaire de 350 millions d’euros. »

  • Le couple franco-allemand

« Nous ne pouvons pas faire l’Europe sans un moteur franco-allemand qui marche », a déclaré Nathalie Loiseau en réfutant toute idée de panne. « Nous sommes parfois plus pressés que les autres, parfois peut-être trop pressés » a-t-elle reconnu, en soulignant que l’Allemagne connaissait « une situation politique sans précédent depuis l’après-guerre. L’extrême droite est massivement présente au Bundestag, mais cette situation ne nous empêche pas de travailler sérieusement avec les Allemands, car le contrat de coalition comporte de nombreux engagements européens. En outre, le contact est fréquent entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. »

  • Les élections européennes de mai

On est en train de jouer « 50 nuances de brun en Europe », s’alarme la ministre. « Présence gouvernementale de l’extrême droite en Autriche, en Finlande et au Danemark, offensive antidémocratique de Viktor Orban, tournée européenne de l’Américain Steve Bannon, qui veut la mort de l’Union européenne. Faut-il continuer de regarder ailleurs et d’affirmer que ce n’est pas grave ? Ce ne sera pas mon cas. Ce ne sera pas celui d’Emmanuel Macron. Il faut nommer les choses », a martelé Nathalie Loiseau en assumant pleinement le « clivage entre progressistes et nationalistes ». Selon elle, « les valeurs de liberté, de démocratie et d’Etat de droit sont en train de s’abîmer, donc il faut se battre. » Dans la foulée, elle a fustigé l’attitude de LR qui « considère qu’il n’y a pas de problème avec Victor Orban, qu’il peut continuer de siéger au sein du PPE au Parlement, alors qu’il contredit les valeurs européennes ».

  • Les consultations citoyennes sur l’Europe

« Les enjeux européens sont plus forts que jamais. Or, il y a une déconnexion entre les populations européennes et les décisions prises par les institutions européennes », a pointé Nathalie Loiseau. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français a souhaité organiser jusqu’à la fin du mois d’octobre les consultations citoyennes sur l’Europe. « Nous avons sollicité nos partenaires européens. Tous ont répondu oui, à l’exception de la Hongrie de M. Orban et de l’Italie de M. Conte et de M. Salvini », a précisé la ministre. « Ils ont estimé qu’interroger les citoyens était dangereux. Je trouve que c’est une définition intéressante du populisme : parler au nom du peuple, mais ne pas interroger le peuple », a-t- elle ironisé. S’agissant de la France, « je ne perçois pas vraiment de colère contre l’Europe, a précisé la ministre, mais je note beaucoup d’attente sur l’Europe sociale et des questions plus existentielles sur la sécurité, la défense et le destin de l’Europe. Quant au sujet des migrations, il n’arrive pas au premier rang des préoccupations, sauf pour les militants très eurosceptiques ou à la gauche de la gauche, qui critiquent le gouvernement pour sa politique migratoire. »

Propos recueillis par Philippe Escande et Françoise Fressoz