Le président camerounais, Paul Biya, accompagné par sa femme, Chantal, à Maroua, le 22 octobre 2018. / ALEXIS HUGUET / AFP

Tribune. L’élection présidentielle du 7 octobre au Cameroun a été l’occasion de prolonger et de consolider le malaise camerounais. Alors même qu’elle a capté l’essentiel de l’attention publique ces dernières semaines, elle se clôt sur un résultat sans surprise. Paul Biya reconduit à la tête de l’Etat, c’est le signe que le pays sera maintenu dans un état de tension sociale et politique permanente. Ceci d’autant plus que l’âge avancé du président pose avec acuité la question de l’inévitable succession à la tête de l’Etat.

Durant ses trente-six années de règne, les conditions de vie des Camerounais se sont dégradées avec une constance inquiétante. L’accès à l’eau, à l’électricité, à la santé ou encore à l’éducation reste un défi dans les zones urbaines comme rurales. Et sur les plans politique et sécuritaire, la stabilité du pays est plutôt précaire du fait de la lutte contre les incursions de Boko Haram dans le Nord et encore plus de la guerre qui sévit depuis plusieurs mois dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le bilan de ce régime est désastreux, nous sommes au bord de l’implosion.

Pourtant, le débat n’a quasiment pas eu lieu durant la campagne électorale. Exit l’examen méticuleux des défaillances endémiques de l’Etat ! Afin de dissimuler trente-six ans d’incurie, l’oligarchie en place a eu recours à l’intimidation, mais également à la construction de boucs émissaires, en pointant notamment un groupe social, les Bamiléké, et en diffusant ad nauseam des discours haineux incitant au repli identitaire. Elle réactive ainsi une des matrices de la gestion coloniale des populations africaines. Cette stratégie a également permis d’occulter l’exclusion de l’élection des Camerounais résidant dans les régions anglophones, représentant environ 20 % de la population, ainsi que la marginalisation des femmes de l’espace politique.

La cohésion nationale est mise en péril avec la complicité d’une partie de l’intelligentsia locale et de la diaspora, qui profite d’une visibilité médiatique et/ou sur les réseaux sociaux pour diffuser et infuser la haine de l’autre dans l’imaginaire populaire.

Fin de règne

Le résultat de la présidentielle du 7 octobre est irrémédiablement une « fausse victoire ». Nous ne sommes pas dupes. Nous avons pleinement conscience que le contexte actuel de fin de règne, adossé à l’exacerbation des tensions sociales et politiques, est un ferment de l’embrasement. Afin d’assumer notre responsabilité de jeunes universitaires et actrices de la société civile, nous proposons de mener un travail intellectuel et pratique consistant à :

  • Décoloniser impérativement notre pensée et désethniciser l’Etat. La diversité culturelle fonde notre identité, mais l’« ethnie » ne doit en aucun cas être une ressource politique, sous peine de conforter le régime actuel, perpétuer une mémoire coloniale détestable, faire offense à la mémoire nationaliste et insulter toutes celles et ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour que le rêve Cameroun se matérialise.

  • Reconnaître que la solution aux tensions sociales est politique. Il est urgent de redéfinir les contours de la relation entre l’Etat et ses représentants d’une part, les citoyens d’autre part. Afin de résoudre le contentieux historique autour de sa formation, il faut mener une réflexion sans tabous sur la forme de l’Etat. A cet égard, une autonomie régionale, voire le fédéralisme, avec l’élection de dirigeants et d’assemblées à l’échelle locale, est une des pistes souhaitables.

  • Admettre l’impossibilité d’obtenir une transition ou, a minima, une alternance effective par les institutions et le processus électoral actuels, dont la dimension antidémocratique a été confirmée. L’intimidation, la manipulation et la fraude ont caractérisé les périodes électorale et post-électorale, sans jamais être remises en cause par les instances chargées de superviser et de valider les élections. Et bien qu’ils aient, le temps d’une élection, ravivé la ferveur populaire à l’égard de la politique, ceux qu’on découvre opposants farouches à ces institutions ne sont malheureusement pas toujours exempts des mêmes soupçons.

  • Poser les jalons d’une citoyenneté alternative et réellement inclusive. Cette élection a démontré que le peuple camerounais reste mobilisé et déterminé à prendre part à l’édification de notre jeune nation. Si les mobilisations observées semblent trancher avec celles attendues dans le cadre de l’inscription sur les listes électorales, c’est qu’elles rendent compte d’une réalité : la citoyenneté est partielle lorsqu’elle n’exprime qu’une dimension institutionnelle. Il est donc indispensable d’élaborer une citoyenneté qui couvre l’ensemble du corps social., notamment les catégories réduites au statut de subalternes (jeunes, femmes, classes populaires, militants de l’opposition…), à qui l’on doit l’indépendance du territoire, sa réunification et l’ouverture bien qu’imparfaite de l’espace politique.

Larissa Kojoué, politiste à l’université d’Aix-Marseille, Rose Ndengue, politiste et historienne à l’université Paris 7-Diderot, Félicité Djokoue, fondatrice et directrice exécutive de l’Association des acteurs de développement, à Yaoundé, Brenda Ngum, doctorante en sociologie à l’université Paris 7-Diderot.