« Dans l’ère de la post-vérité, Jair Bolsonaro continue de redessiner les contours du vrai et du faux avec des messages qui se propagent de manière virale à travers les réseaux sociaux. » / RICARDO MORAES / REUTERS

Tribune. Dimanche 28 octobre, le Brésil s’apprête à entrer dans le club grandissant des pays gouvernés par des populistes d’extrême droite. Dépourvu des structures partisanes et électorales classiques, le fondement du succès de la campagne de Bolsonaro et son éventuelle victoire à la présidentielle résident dans sa capacité à tirer profit des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TICS).

Il ne s’agit pas que d’un nouvel exemple du potentiel explosif du mélange entre l’architecture des réseaux sociaux et la démocratie représentative ; mais bien de l’étape suivante de la démonstration de sa puissance de déflagration.

Les TICS, et plus particulièrement les réseaux sociaux, ont joué un rôle important dans toutes les dernières grandes élections. Elles ont contribué à l’ascension au pouvoir de nouveaux partis politiques, tels que le Mouvement 5 Etoiles en Italie ; à la victoire d’outsiders sans structure partisane préétablie, comme Emmanuel Macron, ou à la conquête de partis traditionnels par des célébrités médiatiques comme Donald Trump. Cependant, cette fois-ci un pas de plus a été franchi faisant de Jair Bolsonaro le premier candidat appartenant réellement au nouveau monde électoral.

Une ascension sans parti, ni dispositifs électoraux traditionnels

Bolsonaro était jusqu’à présent un député peu connu et isolé dont le seul fait d’armes avait été la défense publique de l’ancienne dictature brésilienne. Son ascension, contrairement aux cas précédents, ne tient pas à la création ni à la conquête d’un parti existant ; ni même au déploiement de dispositifs électoraux traditionnels (structure partisane ou jeux d’alliances) ou à une surexposition dans les médias.

Dans ce pays continent de plus de 200 millions d’habitants, dont presque 150 millions électeurs, le temps de télévision, accordé en fonction de la représentativité des partis au parlement, a historiquement été le principal facteur expliquant les victoires électorales. Bolsonaro n’en a même pas eu besoin, il n’a que très peu utilisé son temps d’antenne dédié aux débats et aux interviews. Poignardé au début de la campagne, il n’a même pas autant sillonné le pays que ses adversaires.

L’art de Bolsonaro a été de compenser l’absence de relais électoraux traditionnels par l’utilisation des nouvelles technologies pour la création de mécanismes de propagande automatisées.

Ses équipes produisent des contenus quasi exclusivement formatés pour les réseaux sociaux. Ces contenus sont ensuite distribués à un réseau de milliers de groupes WhatsApp et à tout autant de profils pro-Bolsonaro sur Facebook

Ses équipes produisent des contenus quasi exclusivement formatés pour les réseaux sociaux. Ces contenus sont ensuite distribués à un réseau de milliers de groupes WhatsApp et à tout autant de profils pro-Bolsonaro sur Facebook. Les équipes du candidat auraient ainsi créé des faux profils qui, à l’aide de robots contrôlés centralement, diffusent cette propagande.

La stratégie est payante puisque Bolsonaro qui n’avait, en 2014, que quelques milliers de followers, en possède presque 15 millions aujourd’hui. Il a su se construire une structure de communication directe avec des dizaines de millions d’électeurs. Sa puissance est bien supérieure à celle de n’importe quel autre média. Toutefois, robots et groupes WhatsApp ne suffisent pas à envahir les réseaux.

Son véritable secret tient à l’alliance entre l’architecture de ces réseaux et le contenu inflammatoire, sensationnaliste et polémique qu’il y distille. Les études du sociologue Paolo Gerbaudo, de l’Université Kings College de Londres, démontrent que ce type de contenus stimule le partage et sa propagation. Or pour cela Bolsonaro a un don indéniable : il a même réussi à choquer la fille de Jean-Marie Le Pen ! Le virtuel futur président du Brésil est ouvertement misogyne, homophobe, raciste et défend les exécutions extrajudiciaires, l’utilisation de la torture et l’interdiction des ONG. En somme, il prône la fin de la démocratie libérale et des Droits de l’Homme.

Dans l’ère de la post-vérité, il continue de redessiner les contours du vrai et du faux avec des messages qui se propagent de manière virale à travers les réseaux sociaux. Encore plus efficacement que Trump, il a réussi à « rendre faux » les indices de corruption qu’avaient trouvée contre lui les principaux journaux brésiliens.

Bolsonaro, dont l’imagination est débordante, en a même été jusqu’à inventer un nouvel « axe du mal » composé de ses détracteurs : « The Economist », « The New York Times », George Soros ou le Pape

Bolsonaro, dont l’imagination est débordante, en a même été jusqu’à inventer un nouvel « axe du mal » composé de ses détracteurs : The Economist, The New York Times, George Soros ou le Pape. Ces derniers composeraient, d’après lui, une nouvelle alliance communiste mondiale. Dans ce nouveau monde, les faits, la science ou même la théologie – dans le très catholique Brésil – ne seraient que des mensonges s’ils venaient à contredire son récit. L’ère digitale permet le transfert de la confiance dans les institutions à une confiance faite à des profils digitaux, faisant de Bolsonaro la seule source de vérité pour ses adeptes.

Les réseaux sociaux, de par leur architecture, ouvrent un nouveau canal de communication désintermédié pour les populistes. Ainsi, dans un univers où chacun dispose de son profil et de son audience, les influenceurs deviennent les connecteurs d’un réseau autrement atomisé. La relation qu’ils entretiennent avec leurs millions de « followers » s’adapte parfaitement à celle que nourrissent les leaders charismatiques avec le peuple. Cette fidélisation aveugle à certains profils d’internet est facilement transférable aux leaders politiques. Les populistes, comme Bolsonaro, y bénéficient qui plus est des fameux effets d’échos agrémentés de la croissante vitesse de circulation de l’information.

Nos articles, reportages et analyses à lire avant le second tour des élections au Brésil

Sur Jair Bolsonaro

Sur la situation politique et économique du pays

Cette élection prouve une fois de plus que dans une sphère publique digitale dépourvue de corps intermédiaires, les populistes auront toujours un avantage sur leurs adversaires. Dans ce contexte, la survie des démocraties libérales dépendra de leur capacité de dompter les réseaux sociaux ou de faire évoluer leurs structures représentatives.