Gianni Infantino, le 26 octobre, à Kigali. / CYRIL NDEGEYA / AFP

L’incendie couvait et Gianni Infantino l’a étouffé en urgence. Vendredi 26 octobre, le président de la Fédération internationale de football (FIFA) s’est résolu, contraint et forcé, à mettre en place une commission afin d’étudier deux projets qui suscitaient des crispations : la création d’une Ligue mondiale des nations et la réforme de la Coupe du monde des clubs, organisée chaque année en décembre autour de sept clubs. Ces deux projets étaient au menu des discussions lors de la réunion du conseil (gouvernement) de la FIFA, à Kigali (Rwanda).

Depuis plusieurs mois, Infantino promeut l’idée de lancer une Ligue mondiale des nations, sorte de mini-Coupe du monde qui regrouperait, tous les deux ans, huit sélections nationales. Parallèlement, le patron du foot mondial souhaite redonner du crédit et de la visibilité à la Coupe du monde des clubs, dont il veut changer le format à partir de 2021. Au départ, le dirigeant désirait élargir cette compétition à vingt-quatre équipes, dont douze européennes, et l’organiser tous les quatre ans afin de remplacer la Coupe des confédérations.

Mais des fuites dans la presse évoquaient une deuxième option, avec un tournoi qui se déroulerait chaque année. Pour convaincre les diplomates du ballon rond, Infantino avait écrit, en mai, une lettre aux membres du conseil de la FIFA : il y affirmait être soutenu par un groupe d’investisseurs « solide et sérieux ». Enclin à dépenser 25 milliards de dollars (21,9 milliards d’euros) sur un cycle de douze ans, ce consortium est dirigé par la société japonaise SoftBank et appuyé financièrement par le fonds souverain de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

« Mercantilisme extrêmement cynique et impitoyable »

Avant la réunion de Kigali, les deux projets portés par Gianni Infantino ont mis le feu aux poudres. D’autant que le patron de la FIFA souhaitait que ces réformes soient directement soumises au vote de son gouvernement. La fronde est venue de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de son président slovène, Aleksander Ceferin. Soucieux de défendre le très lucratif « produit » Ligue des champions, sous la menace de cette nouvelle compétition, le patron du foot européen a déclaré qu’il s’agissait d’un « mercantilisme extrêmement cynique et impitoyable ».

Lundi 22 octobre, Infantino a, par ailleurs, reçu un courrier au vitriol du Forum mondial des ligues (WLF), signé par Richard Scudamore, patron de la Ligue anglaise, Christian Seifert, directeur général de la Ligue allemande, et d’Enrique Bonissa, numéro 1 de la Ligue mexicaine. Dans leur lettre, les trois dirigeants pointaient des difficultés liées au calendrier, remettaient en cause le passage en force du président de la FIFA, réclamant une phase de consultations et la mise en place d’une task force chargée d’étudier à la loupe ces deux réformes. De son côté, l’Association européenne des clubs (ECA) avait déjà réclamé, il y a quelques mois, des discussions « ouvertes et transparentes ».

Guerre des nerfs

Jeudi 25 octobre, le conseil de la FIFA a été le théâtre d’une guerre des nerfs entre les neuf représentants de l’UEFA, disposés selon le New York Times à quitter la table des négociations, et Gianni Infantino. Ces crispations ont, d’ailleurs, totalement éclipsé la réforme du marché des transferts, également à l’ordre du jour du conseil de la FIFA. « On se dirige vers une guerre », soufflait un proche du dossier, la veille des discussions. « Cela s’annonce très chaud », confirmait-on du côté de la Fédération internationale.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, la tension est, pourtant, retombée d’un cran. Car Gianni Infantino s’est résolu à ne pas faire voter ces deux projets. Au terme de la réunion de Kigali, la FIFA a, d’ailleurs, annoncé la mise en place d’une task force, « sous la direction du bureau du conseil » (composé de Gianni Infantino et des patrons des confédérations continentales). Ce groupe de travail est censé « présenter ses propositions » lors du prochain sommet du gouvernement de la Fédération internationale, les 14 et 15 mars 2019, à Miami.

Autocritique

« La FIFA essaye d’éviter la guerre. Car on était à la limite d’une vraie guerre ouverte entre la FIFA et l’UEFA, analyse un dirigeant européen. Personne ne comprenait pourquoi Gianni Infantino avançait de cette manière-là, aussi agressive. Ce montage vise à privatiser les compétitions, à vendre l’organisation d’une compétition à une structure. Politiquement, Infantino (candidat à un deuxième mandat en juin 2019, lors du congrès de Paris) n’a rien à y gagner. Et je ne pense pas que la FIFA se porte mal financièrement (des revenus records de 6,1 milliards de dollars sont attendus pour le cycle qui se refermera à la fin de 2018). »

Au terme du sommet de Kigali, Infantino s’est montré consensuel. « Ces six derniers mois, nous avons eu des consultations, nous avons parlé à des parties qui ont des points de vue différents, des opinions différentes, et l’important, c’est que ces points de vue, ces opinions seront maintenant rassemblés », a-t-il assuré, disposé à faire son autocritique. « Est-ce que j’aurais pu faire les choses mieux ? Certainement, certainement. Mais nous essayons de le faire à partir de maintenant. Nous sommes ouverts à toute idée et toute proposition », a confié le patron de la FIFA, soulagé d’avoir étouffé l’incendie.