Dans le sillage de la série pour adolescents Riverdale, qui entame sa saison 3, Netflix doit dévoiler, vendredi 26 octobre, les premiers épisodes des nouvelles aventures de la sorcière Sabrina. C’est même cette série qui ouvrira la quatrième édition de la Comic Con, qui se tient à Paris de vendredi à dimanche. En France, le projet a enthousiasmé ceux qui ont connu, sur France 2 à la fin des années 1990, les aventures en sitcom de Sabrina Spellman et de son chat animatronique Salem.

Les nouvelles aventures de Sabrina | Bande-annonce officielle [HD] | Netflix
Durée : 02:30

Mais certains furent surpris d’apprendre que la sorcière appartenait au même univers qu’Archie Andrews, le héros de Riverdale. Et que cet univers n’est pas loin de célébrer ses 80 ans. Derrière ce retour de mode et ce succès international se cache un tour de force pour réinstaller une franchise qui fleurait bon la naphtaline.

L’un des tout premiers numéros d’Archie. / ARCHIE COMICS

A l’origine, Archie est un personnage de comics né au cœur de la seconde guerre mondiale, en 1941. Il a été créé par l’auteur de BD Bob Montana et l’entrepreneur John Goldwater, l’un des cofondateurs de la maison d’édition new-yorkaise MLJ. Née deux ans plus tôt au moment où l’industrie de la BD fleurit aux Etats-Unis, elle se lance d’abord avec des histoires de super-héros ; c’est même MLJ qui donnera vie, quelques mois avant le Captain America de Marvel, au premier super-héros patriote, The Shield.

Après la guerre, les super-héros commencent à perdre la cote et l’entreprise décide de se concentrer sur les aventures d’Archie, un lycéen rouquin et bon enfant qui a su conquérir les lecteurs dès les premiers numéros. En 1945, l’entreprise se rebaptise même Archie Comics. La machine est lancée et Archie devient une figure de la culture populaire américaine, un équivalent de Spirou outre-Atlantique.

L’Amérique intemporelle

Calqué de façon assumée sur son contemporain Andy Hardy, un héros de films de la Metro Goldwyn Mayer, Archibald Andrews est un adolescent beau et moderne pris dans un triangle amoureux. Il ne sait qui choisir entre sa voisine sympathique et débrouillarde, Betty Cooper, et Veronica Lodge, une brunette classe et un brin hautaine. Passant son temps entre les couloirs du lycée de la petite ville fictive de Riverdale et les banquettes de chez Pop’s, le diner local, le jeune homme ne manque pas de se confier à son meilleur ami, Jughead (« tête de cruche », en anglais).

Andy Hardy - Drugstore Scene
Durée : 03:51

« Archie représente une forme d’Amérique intemporelle », résume Xavier Fournier, journaliste spécialiste des comics et auteur de Super-Héros : l’envers du costume (Fantask, 2016) : « Les codes sont suffisamment génériques pour qu’on ne puisse pas forcément le placer dans une décennie en particulier, un peu comme Tintin. » Aucun mot plus haut que l’autre, de la romance sage et des personnages proprets… les histoires sises à Riverdale ne parlent pas non plus de politique.

Mais elles symbolisent une Amérique plutôt blanche et conservatrice. « Contrairement aux super-héros, Archie a très bien survécu à la censure morale des autorités », abonde Xavier Fournier. Dans les années 1960, Archie et ses amis prennent une tournure « plus pop, un peu comme les Beach Boys. Ils fondent même un groupe de rock, dont le tube Sugar Sugar deviendra un classique », explique le journaliste. A la même époque, Sabrina, l’apprentie sorcière, naît et prend part aux aventures des lycéens d’Archie avant d’obtenir sa propre série, une dizaine d’années plus tard.

The Archies - Sugar, Sugar (Original 1969 Music Video)
Durée : 03:03

Devenir « has been »

C’est dans ces années 1960 qu’Archie Comics connaîtra un pic de ventes. Mais quelques années plus tard, face au flower power et aux contestations étudiantes, le côté frais et papier glacé de ces héros ne convainc plus. « Archie et sa bande deviennent has been », explique Xavier Fournier. Une image qui va coller à la franchise jusque dans les années 2010. « C’étaient des comics sur des ados que les ados ne lisaient pas », conclut auprès du site américain Vulture l’auteur Mark Waid, qui travaille sur les plus récentes séries.

Si les ventes s’effritent à mesure du succès, il est difficile d’établir des chiffres. Contrairement à la plupart des éditeurs de BD aux Etats-Unis qui distribuent dans des magasins de comics spécialisés, Archie a assis son système économique sur la distribution de « digests », des fascicules de gares, des compilations d’histoires courtes anciennes et récentes vendues au grand public. Des ventes qui ne sont pas prises en compte dans les audiences officielles du marché américain.

Jusqu’à il y a peu, il était hors de question de prendre des risques pour la direction. « Ils étaient très très attentifs à ce que vous pouviez et ne pouviez pas faire avec une BD Archie », se souvient le scénariste Mark Waid, qui a aussi travaillé pour la société au début des années 1990.

Il faut attendre 2009 et l’arrivée de Jon Goldwater, le fils du fondateur, à la tête de la maison d’édition new-yorkaise pour voir s’effondrer les barrières conservatrices. Après une bataille juridique de plusieurs années avec la veuve de l’un des propriétaires d’Archie Comics pour récupérer la direction créative de la franchise, M. Goldwater est désormais le maître à bord. L’une de ses premières décisions d’ampleur est de convoquer tous ses employés pour une réunion de travail et de réflexion afin de dépoussiérer la collection.

Le producteur de « Glee » à la rescousse

Sur le plan éditorial, Riverdale accueille en 2010 son premier personnage gay, Kevin Keller, une figure récurrente. Côté stratégie, Archie Comics devient la première entreprise de BD aux Etats-Unis à proposer ses albums en numérique le jour même de leur sortie papier, selon le site Vulture. Elle va aussi finir par proposer ses titres en librairies, en plus des kiosques à journaux.

En parallèle, Jon Goldwater se rapproche de Roberto Aguirre-Sacasa, auteur de théâtre, de BD et de séries TV, largement applaudi pour sa série musicale pour ados Glee. En résulte quelques numéros bien accueillis réunissant les camarades d’Archie et les lycéens de Glee mais aussi une réinterprétation fantastique et décalée, Afterlife with Archie, peuplée de zombies et de loups-garous. Un succès critique qui amène l’auteur à prendre la direction du bureau créatif.

La nouvelle version de Sabrina écrite par Roberto Aguirre-Sacasa. / ARCHIE COMICS

En coexistence avec les anciens Archie qui ressortent sans cesse en « digests », le duo Goldwater-Aguirre lance un reboot, une remise à zéro des séries, et le confie à des auteurs de premier plan, à l’instar de la dessinatrice du très salué Saga, Fiona Staples, et de Mark Waid, reconnu pour son travail sur les séries de grands super-héros comme ses projets indépendants.

Dans cette opération de rénovation, il s’agit d’insérer plus de diversité mais aussi de remettre les personnalités et les préoccupations des héros au goût du jour, sans pour autant dénaturer la série. « Tout le monde était d’accord pour dire que la relance de Riverdale méritait une petite mise à jour mais personne ne sous-entendait que “Betty allait tomber enceinte” ou que “Archie allait faire un doigt d’honneur à M. Weatherbee [le principal du lycée]” », explique Mark Waid en postface du nouveau premier tome.

Une obsession : la télévision

La dessinatrice française Marguerite Sauvage (Faith, Bombshells) qui, en binôme avec Nick Spencer, va prendre le relais sur la série à partir du numéro 700 à paraître prochainement, n’a en revanche reçu aucune consigne particulière. « On a eu carte blanche, il n'y a pas eu d’éléments bibliques mentionnés. Après, je m’en tiens au cadre posé par le script de Nick », détaille au Monde celle qui ne connaissait pas Archie avant de s’installer au Canada mais prend plaisir à lui redonner vie. « J’ai un passif d’illustratrice de mode et de beauté avec lequel j’ai pu renouer, ça change des personnages en costume de héros. Les personnages d’Archie sont très glamourisés. »

Une des récentes couvertures d’Archie, réalisée par la Française Marguerite Sauvage. / ARCHIE COMICS

Roberto Aguirre-Sacasa avait toutefois en tête d’autres ambitions pour Archie : le ramener à la télévision. Au lieu d’un dessin animé comme cela a pu être de nombreuses fois le cas, il espère en faire un drama, un soap pour adolescents. Riverdale sera un « Archie rencontre Twin Peaks », la série de David Lynch, assume son créateur qui ajoute en introduction d’un des numéros de la BD : « Les choses y prennent un tour un peu plus macabre, un peu plus érotique et un peu plus décalé. » Le programme est lancé en janvier 2017 sur la chaîne américaine pour jeunes CW, et en parallèle sur Netflix. L’effet comique et la pop sucrée des années 1960 laissent place à de mystérieuses enquêtes sur des meurtres, des secrets d’alcôve et des scènes au clair de lune, tout en conservant des références vintages et un certain polish.

Une implantation en France

« Le coup de génie de la série est de s’être réapproprié ce qu’Archie et ses amours avaient clairement inspiré en matière de schémas et de séries romantiques ados comme Les Frères Scott ou même Dawson », analyse Xavier Fournier. D’autres comme Olivier Jalabert, directeur éditorial comics de Glénat, qui publie en France les nouvelles BD Riverdale, estiment qu’avec cette série « on touche les mêmes publics qui ont pu à une autre époque être fans de Buffy contre les vampires ou Smallville ».

RIVERDALE Bande Annonce VF (Netflix // 2017)
Durée : 01:35

Pari réussi. La série a permis de reconquérir les jeunes Nord-Américains. Ils sont en moyenne un peu plus d’un million à la regarder sur CW chaque semaine – un chiffre en légère baisse qui ne fait pas partie des meilleures audiences de la chaîne, mais ne comprend pas les spectateurs Netflix. La plate-forme, qui a d’ailleurs négocié l’exclusivité de la série Sabrina, le spin-off de Riverdale, a aussi largement contribué à son succès à l’étranger.

En France, les spectateurs ont consommé des produits dérivés Archie sans le savoir mais n’ont jamais eu de vrai attachement. Et pour cause, les BD n’ont jamais vraiment paru dans l’Hexagone jusqu’à ce que Glénat décide, cette année, d’importer les titres les plus récents dans le but d’ouvrir une collection « Young Adult », offre inexistante jusqu’alors dans ses rayons. « Nous ne sommes pas sur un gros succès, avec entre 3 000 et 4 000 exemplaires vendus par titre », concède Olivier Jalabert, qui se félicite toutefois « d’avoir eu le nez creux » en décidant d’acheter la licence avant la sortie de la série. Comme quoi, même à 77 ans, il est possible de redevenir cool.