Le président du conseil italien Giuseppe Conte et le président russe Vladimir Poutine, le 24 octobre à Moscou. / Sergei Chirikov / AP

En ces temps de tensions extrêmes entre Rome et Bruxelles, la visite ne risquait pas de passer inaperçue. Le président du conseil italien, Giuseppe Conte, était à Moscou mercredi 24 octobre, avec une importante délégation de patrons italiens, pour signer quatorze contrats de coopération économique, portant notamment sur des travaux d’infrastructure routière et des questions énergétiques. La veille, la Commission européenne avait, dans une décision sans précédent au sein de l’UE, rejeté le projet de budget 2019 présenté par le gouvernement italien.

La conférence de presse conjointe qui s’est tenue au sortir d’un long entretien entre le président russe, Vladimir Poutine, et le premier ministre italien a été l’occasion d’un assaut d’amabilités. De fait, parmi les grands pays de l’Union européenne, l’Italie n’a eu de cesse, ces dernières années, de se poser en avocat de la désescalade avec Moscou, et le gouvernement Conte, constitué de l’alliance de deux formations qui n’ont jamais fait mystère de leur sympathie pour le modèle politique russe, le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) et la Ligue (extrême droite), a encore accentué la tendance.

Mais cette relation de proximité, fondée sur d’évidents accords idéologiques – en visite à Moscou le 17 octobre, le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, a affirmé qu’il s’y sentait « plus chez lui » qu’à Bruxelles – pourrait-elle aller plus loin, au point de voir l’Etat russe chercher à soutenir l’Italie sur les marchés, notamment en achetant des bons du Trésor ? Dans les milieux proches du gouvernement italien, la tentation est grande d’imaginer qu’une action de Moscou pourrait contribuer à calmer les tensions entourant la dette italienne, et ramener à des proportions plus raisonnables le « spread » (le différentiel entre le taux des emprunts à dix ans italiens et allemands), qui depuis la fin du mois de septembre dépasse les 300 points de base. « Il n’y a aucune hésitation de caractère politique autour de l’idée de l’achat de bons du Trésor italiens par le fonds souverain russe », a certes assuré Vladimir Poutine, tout en soulignant que l’économie italienne « a des bases solides ». Le président russe s’est surtout borné à plaider pour une intensification des relations entre les deux pays – par, notamment, la fin des sanctions européennes prises contre Moscou au lendemain de l’invasion de la Crimée, en 2014.

« Les sanctions sont inutiles »

Ce point a été au centre de toutes les discussions lors du 11e forum Eurasiatique de Vérone (Vénétie), les 25 et 26 octobre, en présence de nombreux acteurs économiques russes et italiens de premier plan. « En 2018, les sanctions sont inutiles », a ainsi lancé le ministre de l’intérieur Matteo Salvini, qui a donné le coup d’envoi de la manifestation. Une affirmation qui a été reprise comme un mantra par les participants aux débats du forum, à l’image de l’ancien premier ministre italien de centre gauche Romano Prodi, qui a décrit l’Europe comme un « maillon passif » du commerce international, de plus en plus « isolé », et ce pour des raisons purement politiques.

« Aujourd’hui plus que jamais, nous devons faire tout ce qui est possible pour abolir les sanctions en Europe », a ainsi lancé le président de l’association Conoscere Eurasia et de la filiale russe de la banque Intesa Sanpaolo, à l’origine de ce Forum, à destination des nombreux responsables politiques présents.

« Bien sûr, les sanctions représentent un coût, mais celui-ci est beaucoup plus modéré que ce que disent, depuis des années, la Ligue ou le M5S, qui affirment que l’Italie est le pays qui a payé le plus lourd tribut et se servent de cet argument pour affirmer que la politique européenne est contraire aux intérêts de l’Italie, souligne un diplomate français. Mais le nouveau gouvernement a dû très vite admettre que l’idée d’une annulation unilatérale des sanctions, mise en avant durant la campagne électorale, était tout simplement impossible, vu qu’elle impliquerait le rétablissement des frontières entre l’Italie et le reste de l’Europe. » Une perspective qui aurait des conséquences beaucoup plus importantes pour l’ensemble de l’économie italienne.