Alex Ogou, scénariste et réalisateur de la série « Invisibles » sur les enfants des rues délinquants, avec l’un de ses jeunes acteurs, pendant le tournage en Côte d’Ivoire.

De Rio à Maputo en passant par Brazzaville ou Paris, des gamins, dont les plus jeunes n’ont qu’une dizaine d’années, sombrent dans l’ultraviolence. A Abidjan, on les appelle les « microbes » en référence au film La Cité de Dieu (2003), qui retrace la vie des enfants d’une favela et leur ascension dans la pègre locale.

A partir de lundi 29 octobre, Canal+ Afrique diffuse Invisibles, une fiction 100 % africaine en dix épisodes, montrant la vie de ces adolescents des rues de la capitale économique ivoirienne qui n’hésitent pas à tuer pour une montre ou un collier. Alex Ogou, créateur et réalisateur de cette série construite comme un thriller, revient sur les raisons qui l’ont amené à imaginer la descente aux enfers de Chaka, un enfant attachant et bien élevé qui va se transformer au fil des épisodes en un caïd impitoyable et sanguinaire.

Qu’est ce qui vous a amené à écrire et réaliser cette série ?

Alex Ogou En arrivant à Abidjan en mai 2015, j’ai été confronté dès les premiers jours à cette problématique des « microbes ». On en parlait tous les jours. Ce qui m’a interpellé, c’est la réponse que les gens donnaient à ce problème et qui consistait à tuer, exterminer ces enfants. J’étais un jeune père et je ne pouvais pas considérer les choses comme cela. Derrière ce phénomène, il y a des questions sociales très profondes. En tant que cinéaste, j’ai voulu interroger la société sur la question de la délinquance juvénile. On ne peut pas la considérer comme une criminalité normale en y opposant de la répression.

Vous êtes-vous inspiré de faits réels ?

Les crimes que l’on voit dans la série sont tous inspirés de faits divers. Le caractère des personnages est en revanche totalement imaginaire. Il s’agit d’une fiction qui montre la plongée en enfer d’un personnage.

La série s’appelle Invisibles mais il n’y a pas que les « microbes » qui le sont. Ces « invisibles », ce sont en réalité toutes les personnes que la société ivoirienne ne veut pas regarder. Il s’agit d’une frange de la population qui ne correspond pas au visage qu’on veut montrer d’un pays émergent. C’est au milieu de tous ces déclassés que germent des phénomènes comme celui des « microbes ».

Mon propos montre l’éclatement social, qui entraîne une précarité extrême, souvent suivie d’une démission parentale. Les enfants se retrouvent alors dans des situations dramatiques. En Afrique, les maladies psychologiques ne sont pas prises en compte et jamais traitées. Ce n’est pas dans la culture. S’il y avait plus de psychologues et de psychiatres, on pourrait peut-être éviter que ces phénomènes apparaissent.

En fait, la population n’a pas d’exutoire. C’est pour montrer qu’elle existe qu’elle sombre dans l’ultraviolence. Ce qui m’a intéressé en réalisant cette série, c’est le mécanisme social qui permet d’arriver à cela. Ce n’est pas la question policière.

Comment s’est déroulé le tournage ?

La série a été tournée principalement à Abidjan, dans les quartiers d’Abobo et de Yopougon, où l’action des « microbes » est la plus patente. Nous avons tourné cinq mois dans la métropole et quelques jours dans le nord du pays, parce que le personnage principal retourne voir sa mère dans son village.

Le casting s’est déroulé en plusieurs étapes. Mon idée de départ était de faire tourner de vrais enfants « microbes », pas forcément dans une quête de véracité extrême mais simplement parce que je voulais donner quelque chose à ces gamins, à la société. J’ai alors pensé que j’allais peut-être pouvoir en resociabiliser certains parce qu’ils allaient devenir acteurs, les sortir de leur condition, comme dans une sorte de catharsis. On a donc fait un casting confidentiel afin de ne pas prendre de risques pour eux.

Le tournage de la série a duré cinq mois à Abidjan, et quelques jours dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Mais l’essai n’a pas été concluant. On n’a pas trouvé de gamins capables de retenir leur texte, de s’investir dans un projet de ce type avec une équipe pendant des mois. Donc j’ai ouvert le casting à d’autres enfants. Ça s’est fait en quatre, cinq étapes, entre novembre 2016 et avril 2017.

En faisant une série sur ces jeunes, le risque n’est-il pas que certains téléspectateurs s’identifient à eux ?

J’ai eu cela en tête pendant l’écriture du scénario. Aujourd’hui, je défie quiconque, après avoir vu les dix épisodes, de vouloir leur ressembler ou devenir comme eux. L’idée n’a jamais été de faire l’éloge de ce phénomène. Aucun gamin ne peut avoir envie de s’identifier à eux, j’en fais le pari !

Quant aux acteurs, on leur a dit et répété qu’ils jouaient un personnage, qu’il s’agissait d’une fiction. Nous avons fait un gros travail de prévention là-dessus. Mais, vous savez, tous vivent dans des quartiers où existent des « microbes ». S’ils avaient dû basculer dans la criminalité, ils l’auraient fait depuis longtemps.