Suivez en direct sur Lemonde.fr l’intégralité des rencontres et des débats du Forum philo

« LE MONDE »

Depuis sa fondation, en 1989, le Forum philo Le Monde Le Mans demeure fidèle à une même vocation : conjuguer l’exigence de la réflexion et le débat citoyen pour penser une question de portée philosophique en résonance aussi bien avec l’actualité qu’avec nos préoccupations quotidiennes. Trois jours durant, des intellectuels, des scientifiques, des écrivains, des artistes… dialoguent dans un esprit de transmission et de pédagogie.

Entrée libre et gratuite. Palais des congrès et de la culture du Mans.


Vendredi 9 novembre

9 h 30 introduction

10 heures leçon inaugurale, par Roger-Pol Droit

Tous, un petit nombre ou personne ?

Tous les êtres parlants peuvent s’interroger sur ce qu’ils disent et pensent. Donc tous peuvent être philosophes. Voilà une constante du discours philosophique, depuis Socrate, et le petit esclave du Ménon, jusqu’aux rêves de philosophie populaire des Lumières à nos jours, en passant par Descartes et le bon sens comme « chose du monde la mieux partagée ».
Pourtant, seuls quelques-uns deviennent effectivement philosophes. Une autre constante des philosophes est de souligner leur rareté, leur faible nombre, de Diogène à Voltaire et à nos contemporains. Comment tenir ensemble ces affirmations ? Et comment les combiner avec cette dernière constante, elle aussi bien attestée : les philosophes, en fait, n’existent peut-être pas ?

11 heures pause

11 h 15 – 12 h 15 forum

Philosopher, une vocation universelle ?

15 heures Cynthia Fleury, philosophe

15 h 30 Francis Wolff, philosophe

16 heures Elsa Dorlin, philosophe

16 h 30 pause

16 h 45 – 17 h 45 forum

Samedi 10 novembre

La France, un cas d’école ?

9 h 30 Jean-Louis Fabiani, sociologue

10 heures Corine Pelluchon, philosophe

10 h 30 Jacques Darriulat, philosophe

11 heures Loïc de Kerimel, professeur de philosophie

11 h 30 pause

11 h 45 – 12 h 45 forum

Pensées d’ailleurs

15 heures Anne Cheng, sinologue

15 h 30 Anoush Ganjipour, philosophe

16 heures Yala Kisukidi, philosophe

16 h 30 pause

16 h 45 - 17 h 45 forum

20 h 30

Soirée spéciale

Spectacle d’Yves Cusset : La Philosophie enseignée à ma chouette, avec Sarah Gabillon et Yves Cusset

Le comédien et philosophe Yves Cusset. / MARC SOYEZ / ALAMO

La Philosophie enseignée à ma chouette est un voyage initiatique, absurde et drôle, au pays des idées philosophiques, sous la houlette d’un duo de conférenciers, aussi improbable
qu’irrésistible, qui animent à leur manière leur université populaire foldingue. Ici, le plaisir de jouer avec les mots et de faire déraper la pensée peut être considéré comme l’un des beaux-arts ! (durée : 1 h 15)

Yves Cusset sera à la librairie Thuard pour une séance de dédicace de 19 heures à 20 heures.

Dimanche 11 novembre

Répandre le doute, un geste politique

10 heures Valérie Gérard, philosophe

10 h 30 André Comte-Sponville, philosophe

11 heures Juliette Morice, philosophe

11 h 30 pause

11 h 45 – 12 h 45 forum

Grandeur et misère de la philosophie « populaire »

15 h 15 Catherine Malabou, philosophe et chroniqueuse au « Monde des livres »

15 h 45 Alexandre Lacroix, écrivain et rédacteur en chef de Philosophie magazine

16 h 15 Raphaël Enthoven, philosophe et présentateur de Philosophie, sur Arte

16 h 45 Léon Wisznia, cofondateur de Citéphilo

17 h 15 pause

17 h 30-18 h 30 forum

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Cynthia Fleury

Où est passé l’homme-philosophe ?

Cela aura peut-être été le défi de la Renaissance et des Lumières : inviter l’homme à son perfectionnement continuel, à la sortie de l’état de minorité ; considérer que le principal objet de la raison et de l’éthique, c’est précisément de devenir un homme, conscient de sa singularité et de sa responsabilité. Quantité d’auteurs ont vu dans ce « devenir philosophe » l’archétype du « devenir humain ». Et les révolutionnaires français ont même poussé l’idée jusqu’à croire que la République démocratique viendrait « parachever les promesses de la philosophie », autrement dit, un devenir citoyen, un devenir philosophe et un devenir humain qui allaient désormais avancer de concert. Mais ça, c’était avant le XXIe siècle.

Francis Wolff

La radicalité de l’étonnement

Nous avons tous été philosophes avant que d’être adultes. Enfants, nous demandions sans cesse : « Qu’est-ce que c’est, ça ? Et ça ? » Sans relâche, nous questionnions les évidences : « Et pourquoi ? Et pourquoi ? Pourquoi ? » – sans que jamais aucune réponse ne nous contente. « Et qui a fait cela ? Qui ? Et moi, qui suis-je ? » Le philosophe est comme un castrat : il a gardé sa voix d’enfant mais s’exprime avec une technique d’adulte. En maniant concepts et arguments, il s’efforce de renouer avec la naïveté, la radicalité et l’insatisfaction de son propre étonnement originaire face au monde.

Elsa Dorlin

La philosophie a-t-elle un genre ?

Tous philosophes ou toutes philosophes ? Nous ne devrions pas avoir besoin de spécifier le genre des « philosophes » si, de fait, les femmes ne constituaient pas une minorité en la matière. La philosophie « tient en respect les femmes », écrivait Sarah Kofman (1934-1994). Evoquées pour incarner la déraison (les effets néfastes de l’imagination, des passions, de la rumeur du monde, du bavardage…), les femmes n’entrent en philosophie que comme objet de déconsidération, mais aussi comme point de fixation et d’inquiétude. Au demeurant, seules les femmes semblent avoir un « sexe », quand les philosophes demeurent « des philosophes », et non des hommes pensant pour des hommes, sur des hommes… La philosophie aurait-elle un genre ? Ou, plutôt, que fait le genre à la philosophie ?

Jean-Louis Fabiani

Les métamorphoses de la demande philosophique

En 1995, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Jacques Bouveresse se demandait : « Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d’elle ? » Près d’un quart de siècle plus tard, on posera en sociologue la question des transformations de l’offre et de la demande philosophiques. Quels sont les effets de la quasi-généralisation d’offre d’enseignement philosophique pour la jeune génération ? Transforme-t-elle les conditions de réception de la « reine des disciplines » ? La philosophie s’est-elle démocratisée, ou, au contraire, comme le soutiennent des esprits chagrins, est-elle aujourd’hui aux mains d’une poignée d’« intellectuels médiatiques » ?

Corine Pelluchon

Enseigner, écrire, s’engager

La philosophie est un savoir lié à un corpus et un exercice par lequel on apprend à
conduire une réflexion critique sur le présent. Elle requiert l’acquisition de traits
moraux favorisant l’émancipation des sujets et la délibération publique. Pour qu’elle
puisse jouer ce rôle, elle doit cependant s’incarner dans une parole et des écrits
mesurant l’impact des connaissances sur les affects et prenant en compte les résistances
qu’elles peuvent susciter. Après avoir parlé de notre expérience de l’enseignement
auprès de différents acteurs et insisté sur une évolution souhaitable des contenus, nous
ferons le point sur la déontologie guidant nos prises de position dans la Cité.

Jacques Darriulat

Enseigner la philosophie

Philosopher, dit-on, c’est penser par soi-même. Mais l’enseignement ne passe-t-il pas nécessairement par l’écoute d’une parole enseignante ? Il faudrait donc conclure que l’enseignement de la philosophie est un projet, sinon impossible, du moins paradoxal… C’est pourtant de ce paradoxe que la philosophie, depuis toujours, se nourrit et s’enrichit.

Loïc de Kerimel

La philo au lycée, paradigmes et paradoxes

Partant des grands paradigmes qui gouvernent cet enseignement (la maïeutique socratique, les Lumières françaises, etc.) et des paradoxes auxquels il s’est ipso facto exposé (un enseignement comme les autres/pas comme les autres, un programme/pas de programme, etc.), on montrera que cela permet de mettre en relief l’ultime enjeu de cet enseignement : travailler à la subjectivation des individus et donc résister à l’entreprise de leur objectivation-instrumentalisation (aussi bien par divers systèmes que d’eux-mêmes par eux-mêmes). Enjeu bien entendu partagé par de multiples pans de l’action humaine, avec lesquels cet enseignement a tout intérêt à se souvenir de son apparentement.

Anne Cheng

Peut-on philosopher en Chine ?

Comment peut-on être persan ? S’ébaubissait-on dans le Tout-Paris du XVIIIe siècle ? Et comment donc, monsieur, peut-on être philosophe en Chine ? se demandera-t-on au Mans trois siècles plus tard. Après que Montesquieu (encore lui) a qualifié la Chine de despotique et que Hegel a décrété que « philosophie » et « Chine » sont des termes incompatibles, comment a fortiori l’exercice philosophique serait-il possible dans la Chine d’aujourd’hui, placée sous la coupe d’un régime autoritaire ? Et à quoi peuvent bien servir les philosophes dans une société privée de liberté d’expression ?

Anoush Ganjipour

En Iran, un fantasme collectif

On a appelé l’Iran prémoderne le pays de la métaphysique. Avec la modernité, la fascination historique pour la philosophie est devenue décidément un fantasme collectif. Le réactionnaire et le progressiste, le traditionaliste et le moderne, tous se mettent d’accord sur un point : le discours philosophique est la pierre philosophale de la réalité. Comme si tout un peuple admettait que, au bonheur de l’individu et au salut collectif, c’est la philosophie qui apporterait une réponse en tout et pour tout. J’aborderai les conditions historiques de ce consensus « fantastique ».

Yala Kisukidi

Habiter un espace sans nom

Existe-t-il une « philosophie africaine » ? Dire « philosophie occidentale » constitue-t-il un pléonasme ? Ou la philosophie est-elle pratiquée partout et par tous dans le monde ? Ces questionnements ont traversé l’espace intellectuel africain francophone dès les années 1950, autour du débat sur l’ethnophilosophie. Contre une histoire classique de la philosophie reposant sur l’exclusion des lieux et des corps (l’Afrique, le corps noir…), cette querelle s’est accompagnée d’une revendication, celle du « droit à la philosophie » (Derrida/Boulaga). « Tous et toutes philosophes ! » : durant les décolonisations du continent africain, la philosophie est devenue l’objet d’une attention singulière, apparaissant comme un instrument de reconquête de soi.

Valérie Gérard

Tous philosophes ? Et nous ?

J’essaierai d’articuler la critique féministe de la philosophie (comme propriété masculine et comme manière de recouvrir le monde de discours généralisants et prétendument neutres) et sa critique politique, qui voit dans le fait de se présenter dans le monde « en tant que philosophe » une preuve de débilité politique ou de propension à la domination, et pour laquelle il est heureux, d’une part, qu’il n’y ait pas de vérités politiques et, d’autre part, que les idées politiques ne soient pas affaire de spécialistes.

André Comte-Sponville

Un travail et un combat

« L’homme est un animal métaphysique », disait Schopenhauer : il se pose des questions qu’aucune bête ne se pose et auxquelles aucune science ne répondra jamais. Mais nul ne naît philosophe : on le devient, certes en développant sa propre pensée, le plus rigoureusement qu’on le peut, mais surtout en lisant les grands philosophes du passé. C’est là que la philosophie, qui est un travail et un combat, se distingue de la sagesse, qui est une paix et un repos. Evitons pourtant de trop valoriser celle-ci, de trop dévaloriser celle-là. En philosophie, disait Epicure, « apprendre et jouir vont ensemble ».

Juliette Morice

La philosophie, science ou littérature ?

La philosophie contemporaine reste marquée par l’opposition entre une philosophie dite « analytique », dont la rigueur logique prétend à la vérité, et une philosophie dite « continentale », qui s’accommoderait d’une méthode souvent considérée comme plus littéraire. Or, voir dans la science un modèle, c’est peut-être se tromper sur ce qui fait la nature de philosophie, à savoir son caractère proprement subversif. Comme le rappelait Hannah Arendt, l’activité de la pensée philosophique ne peut être confondue avec celle de l’intellect capable de connaissances. Et si sa valeur ne se donne pas immédiatement, elle seule est à même de nous amener à rompre avec nos habitudes de pensée.

Catherine Malabou

Un produit de consommation comme un autre ?

Aujourd’hui, les rencontres philosophiques dites « pour tous » se multiplient. Or, toute la question est de savoir si le « pour tous » de ces manifestations signifie réellement « populaire ». L’intention de départ était bien de renouer avec une tradition d’émancipation entamée par Auguste Comte, qui s’élevait contre la confiscation du savoir par les élites et la spécialisation à outrance d’une discipline destinée à l’usage universel de la raison. Que reste-t-il de telles intentions aujourd’hui ? La philosophie pour tous n’est-elle pas devenue un produit de consommation comme un autre, reposant sur la crédulité d’un public qui ne se voit en rien transformé dans ses pratiques mais au contraire conforté dans sa passivité et son ignorance par des questions lénifiantes ?

Alexandre Lacroix

Qui a de bonnes idées ?

La philosophie est une discipline à part. Il n’y a presque aucun autre domaine dans lequel autant de personnes sont formées, avec une si faible proportion d’œuvres magistrales. Combien y a-t-il eu de grands philosophes depuis la mort de Platon ? Si l’on s’en tient aux documents officiels pour la préparation au capes, il n’y a que cinquante « philosophes importants ». De ce point de vue, la philosophie est outrageusement élitiste ! Cependant, ce constat peut se retourner comme un gant : en tant qu’activité, « philosopher » est possible à chacun. Pourquoi ? Parce que les idées ne sont pas des dieux et qu’elles sont maniables par le langage ordinaire. De ce point de vue, philosopher est non seulement une activité démocratique, mais peut être même l’activité qui permet la démocratie.

Léon Wisznia

Un intérêt commun

A considérer le public en général comme destinataire de la philosophie, on surmonte un premier préjugé : croire une telle discipline réservée aux initiés, philosophes de formation ou publics cultivés. Sans négliger les aspirations individuelles de sagesse et de sens, peut-on méconnaître l’intérêt de tous pour la vie de la vérité en général ? Peut-on ignorer que les savoirs scientifiques portant sur le monde social ou le monde naturel intéressent tout autant que ceux qui traitent des questions existentielles ? L’admettre, n’est-ce pas postuler une philosophie au sens large présupposant qu’une réception, sous conditions, est possible par « un tous » plus ou moins philosophe ?

Raphaël Enthoven

Le dialogue contre l’idéologie

Le dire est une évidence, et pourtant, c’est une absurdité. Qui n’est pas philosophe ? Qui ne sait pas qu’il va mourir ? Qui ne sait qu’il est né par hasard dans un monde qui s’en moque ? Nous savons tout ce qu’il faut savoir pour avoir peur. Et nous ignorons tout ce qu’il faut ignorer pour transformer le monde en énigme et nous poser des questions sans réponse. Tout le monde, pourtant, ne le fait pas. C’est souvent le déni qui répond au désarroi. Et la cécité volontaire. D’autres, préférant la vérité qui dérange à l’illusion qui réconforte, consentent à l’âpreté du monde, et choisissent de l’aimer malgré lui. En termes politiques, et sur la scène publique, l’affrontement des deux prend la forme d’une lutte de l’idée même de dialogue contre toutes les formes d’idéologie…

Parution

Les Actes du 29e Forum, « De quoi avons-nous peur ? »

De quoi avons-nous peur ?, sous la direction de Jean Birnbaum, Folio, « Essais », inédit, 272 p., 7,25 €.

« Voyez-la, cette grosse bête », invite Patrick Boucheron dans sa conférence d’ouverture du 29e Forum philo Le Monde Le Mans, consacré à la peur (10-12 novembre 2017). « Son corps, ajoute l’historien, est un précipité d’obéissances, l’agglutinement des regards inquiets qu’on porte sur lui. » On ne peut apprendre à être libre qu’en se débarrassant de la peur. De quelles grosses bêtes terrifiantes devons-nous donc nous libérer ? Les réponses des intervenants multiplient les angles d’attaque, de la philosophie (Marc Crépon, Jean-Pierre Dupuy, Céline Spector, Emilie Tardivel, Yves Charles Zarka), à l’histoire (Alain Corbin, Jean-Baptiste Fressoz, Elisabeth Roudinesco), à la sociologie (Gérald Bronner, Edgar Morin) et aux études littéraires ou cinématographiques (Adrienne Boutang, Nathalie Prince), en passant par la création artistique (Fragan Gehlker, Christophe Honoré, Daniel Mesguich).

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Evénement organisé par Le Monde, la Ville du Mans, l’université du Mans et l’Association des amis du Forum philo Le Monde Le Mans, en partenariat avec France Bleu Maine.

Renseignements : 02.­43.­47.­38.­60.

Le Forum philo est coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du « Monde des livres ».