C’est un sujet de santé publique complexe, parsemé de conflits, qui est débattu dans les médias depuis la rentrée. L’affaire dite des « bébés sans bras » de l’Ain, née d’une alerte lancée par un organisme local, est encore très floue puisque les enquêtes sont toujours en cours.

En l’espace de quelques années, plusieurs enfants sont nés avec des malformations congénitales dans le département de l’Ain. Au moins huit cas d’agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS) – c’est-à-dire lorsqu’un bras ou une main ne se sont pas développés avant la naissance du bébé – ont été signalés.

Quand l’enquête a-t-elle commencé ?

L’alerte a, en réalité, été donnée il y a plusieurs années, après le signalement par un médecin généraliste de deux naissances distinctes d’enfants porteurs d’une ATMS. En 2015, le Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera) a rédigé un rapport sur six cas suspects d’ATMS identifiés entre 2009 et 2014 dans l’Ain, concentrés sur un périmètre de 17 kilomètres.

Dans ce rapport, le Remera estime que cette concentration de cas « n’est probablement pas due au hasard » et recommande une enquête. Le rapport précise que « l’hypothèse la plus probable serait celle d’une exposition à un tératogène [un agent qui peut provoquer des déformations du fœtus] commun à ces six mères, peut-être une substance utilisée en agriculture ou en médecine vétérinaire ».

Mais à l’époque, déjà, les experts étaient divisés. Santé publique France (SpF), établissement sous la tutelle du ministère de la santé, estimait qu’« aucune cause commune à ces différents cas d’agénésies n’a pu être établie ».

Combien y a-t-il de cas aujourd’hui ?

Deux organismes enquêtent sur cette affaire :

  • Selon le Remera, huit enfants sont nés sans bras ou sans main dans l’Ain, entre 2009 et 2014, soit sur une période de six ans.
  • De son côté, SpF a identifié onze cas « suspects », en plus des huit déjà signalés par le Remera. Trois cas entre 2009 et 2014 et sept autres sur la période 2000-2009. Cependant, l’enquête doit déterminer si ces cas concernent bien des malformations ATMS, et s’ils sont localisés dans la zone suspecte.

Ces malformations sont-elles courantes ?

Chaque année, moins de 150 cas d’ATMS sont identifiés en France. Les causes peuvent être génétiques, liées à des contraintes physiques ou dues à des substances toxiques (alimentation, environnement, voire médicaments dans le cas de la thalidomide, antinauséeux qui avait fait naître des milliers d’enfants sans bras entre 1957 et 1962). Plusieurs facteurs entrent sans doute en ligne de compte.

Que cherche à déterminer l’enquête ?

Dimanche 21 octobre, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé l’ouverture d’une nouvelle enquête sur les cas de malformations de l’Ain et dans d’autres départements en France, elle sera menée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et SpF.

Tout d’abord, les autorités cherchent à savoir si cette concentration de malformations dans l’Ain est anormale. Dans son rapport remis le 4 octobre, SpF écarte toute anomalie statistique, il n’y aurait donc pas plus de malformations qu’ailleurs.

Mais le Remera, qui a donné l’alerte sur cette affaire, n’est pas de cet avis. Selon le Remera, le nombre de cas dans l’Ain est statistiquement significatif. Plusieurs scientifiques contactés par Le Monde estiment également que les calculs de SpF sont erronés.

Une enquête de terrain doit également déterminer, en interrogeant l’environnement des mères, si un facteur a pu causer ces malformations dans un périmètre de 17 kilomètres. Emmanuelle Amar, épidémiologiste du Remera qui a lancé l’alerte, soupçonne une exposition aux pesticides, notamment parce que toutes les mères vivaient en zone rurale. Pour l’instant, aucune enquête n’a, cependant, prouvé cette hypothèse.

Y a-t-il d’autres cas en France ?

Oui. Au début du mois d’octobre, SpF a remis deux autres rapports sur des soupçons de concentration anormale de malformations du même type en Bretagne et en Loire-Atlantique.

Dans les deux cas, les rapports estiment que le nombre de cas est plus élevé statistiquement que la normale mais n’identifient pas encore de cause précise. L’enquête annoncée en octobre par le ministère de la santé doit notamment s’attacher à déterminer pourquoi autant de bébés sont nés avec des malformations dans ces régions. Les premiers résultats devraient être connus le 31 janvier, selon le gouvernement.