Gafur Rakhimov, le 1er novembre à Moscou. / Pavel Golovkin / AP

Le milieu de la boxe est suffisamment rude pour ne pas se laisser intimider par le Comité international olympique (CIO) : samedi 03 novembre à Moscou, la Fédération internationale de boxe (AIBA) a élu à sa tête l’homme d’affaires ouzbek Gafur Rakhimov malgré les mises en garde inhabituelles de l’instance olympique.

Le CIO s’inquiétait de voir rester à la tête de l’AIBA cet homme de 67 ans, jusqu’alors président par intérim. Il était accusé par le Trésor américain en décembre 2017 d’être « l’un des criminels les plus importants d’Ouzbékistan et un acteur important du trafic d’héroïne ». Il a toutefois été élu par 86 délégués sur 138 face à son seul adversaire, l’ex-boxeur kazakh Serik Konakbayev, qui avait obtenu mardi de pouvoir concourir après un appel réussi devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Ce choix de l’AIBA en faveur de cet ancien entraîneur de boxe en Union soviétique, jadis l’homme fort du comité olympique ouzbek, fait planer un doute sur l’avenir olympique de la boxe : le CIO a déjà menacé l’AIBA de retirer la boxe du programme olympique pour les Jeux de Tokyo 2020 et Paris 2024. Autant dire l’arme nucléaire, très rarement brandie par le CIO avant une élection interne à une fédération.

Aides financières suspendues

Le CIO a déjà suspendu ses aides financières à une fédération largement endettée (19 millions de dollars de dettes en 2018, soit 16,65 millions d’euros, selon le rapport financier présenté lors du congrès) et dont les « paiements olympiques » constituent la majorité des revenus. Le statut de l’AIBA sera étudié lors du prochain comité exécutif de l’instance, à partir du 30 novembre à Tokyo. Outre les questions de gouvernance, celles des finances, des problèmes d’arbitrage et de lutte antidopage seront étudiées, précise dans un communiqué le CIO, qui rappelle que sa priorité est de « tout mettre en oeuvre pour qu’il puisse y avoir un tournoi de boxe aux JO de Tokyo 2020 ».

Selon le site spécialisé Inside the Games, Serik Konakbayev, le candidat battu, compte se rendre à Lausanne la semaine prochaine, au siège du CIO, afin de « mener le deuxième round ». « Ce n’est pas la fin mais le début d’un mouvement de réforme de la fédération internationale, pour sauver la boxe », a-t-il dit aux journalistes sur place, tandis que Gafur Rakhimov réservait sa première réaction publique pour plus tard.

L’urne dans un carton Leroy Merlin

Gafur Rakhimov n’était jusqu’alors qu’un président par intérim de l’AIBA, ayant hérité du poste après l’éviction en novembre 2017, dans des conditions troubles, du Taïwanais Wu Chink-kuo, poussé à la démission. Rakhimov avait été désigné président en tant que plus ancien des vice-présidents en exercice, une règle inventée pour l’occasion.

Le scrutin de samedi à Moscou ne fut pas moins rocambolesque : selon des journalistes sur place, le scrutin électronique a fini par être abandonné après plusieurs heures d’essais infructueux. L’AIBA a fini par faire imprimer quelque 200 bulletins et rafistoler, en guise d’urne, une boîte en carton de la chaîne Leroy Merlin recouverte d’un drap.

Au moment du vote, les délégués de six pays s’étaient évanouis dans la nature et n’ont pas participé au scrutin, qui n’a toutefois pas été suffisamment serré pour que cela porte à conséquence.

L’avenir du « noble art » aux JO est désormais entre les mains du CIO et de Gafur Rakhimov, un homme que l’historien spécialiste du trafic de drogue Michel Koutouzis nous décrivait en ces termes, en janvier dernier : « Il a commencé comme boxeur, homme de main dans la mafia des rues soviétique. Dans les années 1990, il était un baron de la mafia du coton et était passé à l’exploitation de l’opium afghan. Vingt ans plus tard, le même monsieur est accusé par les Américains d’être un acteur majeur du trafic d’héroïne. »